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HISTOIRE DU DIABLE.

vers les airs pour aller visiter le démon Dianum. C’est là, en France, la plus lointaine et la première mention du sabbat : mais c’est une mention vague et sans détails. Du XIIIe au XVIe siècle, les renseignemens abondent. Dans ces drames fantastiques, l’unité de temps et de lieu est sévèrement observée ; la scène se passe la nuit, dans les bois, dans les cimetières, auprès des ruines et dans les lieux solitaires souillés par des meurtres. Satan préside, assis sur un trône et toujours sous une forme hideuse : c’est un crapaud couvert de laine ou de plumes, un corbeau monstrueux avec un bec d’oie, un bouc fétide qui rappelle à la fois le dieu Pan et Azazel, le bouc maudit qui se retira dans le désert chargé des iniquités du peuple d’Israël ; c’est un homme blanc et transparent de maigreur, dont l’haleine glacée donne le frisson. Une lampe sans huile, comme ces lampes éternelles qui brûlaient dans les tombeaux des martyrs, répand sur l’assemblée une lueur tremblante et sombre. Les assistans ont le blasphème sur les lèvres et l’impureté dans le cœur ; des païens disent la messe et crachent sur l’hostie ; Satan prêche l’impiété et le péché ; on lit l’Évangile pour en rire, on lit les pères pour insulter à leur foi ; les mystères obscènes de l’antiquité se confondent avec la liturgie catholique, et tous les instincts de la chair s’exaltent et triomphent. Lorsque le sabbat se réunit la nuit des fêtes où l’abstinence est commandée par l’église, Satan, pour outrager l’église, donne un repas splendide ; les assistans portent des toasts à la ruine de la foi, à l’hérésie, à l’ante-christ, et le sombre amphitryon, pour égayer les convives, chante, comme les jongleurs dans les repas des barons, des histoires du vieux temps qu’il emprunte aux chroniques de l’enfer. Dans les sabbats flamands des premières années du XVIe siècle, le diable donnait quelquefois de grands bals où la toilette de rigueur était une nudité complète. Un vieux Turc ouvrait la danse avec une jeune religieuse ; on voyait les sorcières, emportées toute la nuit par une ronde effrénée, frémir et se débattre sous d’invisibles baisers, et, la fête terminée, elles rendaient au diable en s’agenouillant, le plus hideux hommage que puisse rêver une imagination en délire.

Que cherchaient donc les hommes du moyen-âge dans ces sombres orgies ? Cette triste et persistante aspiration vers les mystères d’un monde fantastique ne suffit-elle pas seule à prouver combien était profonde la misère de ces temps barbares ? Ceux qui croient et qui espèrent, et qui cependant ne trouvent point le bonheur dans leur foi, se réfugient, par l’extase et la vision, dans les joies et les clartés du ciel. Ceux qui doutent, qui blasphèment et qui souffrent, ceux qui n’ont pas le pain quotidien que Dieu n’accorde pas toujours à la prière, les méchans qui rêvent le crime, les ames souillées qui rêvent des plaisirs qui ne sont pas de ce monde, s’envolent aussi vers des régions inconnues, mais en se tournant vers l’autre pôle, et les proscrits du moyen-âge demandent au proscrit de l’abîme les biens réprouvés que le monde leur refuse, les joies coupables qu’ils n’oseraient demander à Dieu. De là une double extase, une double vision qui s’accomplit, l’une au ciel, l’autre en enfer. L’église punit en vain de l’anathème et de la mort les pactes criminels