férence que le vieux roué de l’Olympe était de bon aloi quand il se résolvait en pluie d’or. En Italie, le diable, plus galant, donnait des sérénades et envoyait des fleurs. En Allemagne, il écrivait de longs billets et tournait au Werther ; on en a eu des preuves dans la correspondance sentimentale qu’il entretenait avec une jeune novice du couvent de Nazareth près de Cologne. Cette correspondance fut surprise par le directeur, qui se montra vigilant et sévère parce qu’il était jaloux peut-être, au moment même où la jeune nonne priait son infernal amant de la soustraire aux obstacles des grilles[1].
Heureux privilége ! Satan, pour se faire aimer, n’avait pas toujours besoin d’être aimable. Souvent même il revêtait, pour séduire, les apparences les plus hideuses, et on l’aimait encore, et ses maîtresses étaient fidèles : Fœminae in illius amore delectantur, c’est l’abbé César d’Heisterbach qui le dit. Quel était son secret ? Je l’ignore. Mais n’en est-il pas quelquefois ainsi dans les tendresses humaines ? Et les préférés, les plus heureux sont-ils les mieux méritans ? Toujours friand dans ses caprices, le diable s’attaque surtout aux filles de bonne maison, et il dispute à Dieu ses épouses les plus chastes et les plus belles. Malheur à la femme qui tombe par lui ! elle appartient de droit au bourreau. Ainsi, en 1640, il avait fait la connaissance à Cagliari d’une jeune et belle héritière, appartenant à l’une des meilleures familles de la ville. Après quelques mois d’une cour assidue et d’une intimité charmante, l’inquisition, qui avait l’oreille éveillée, fut avertie du scandale, et la pauvre fille, condamnée au feu, attendit jusqu’au dernier soupir que son fatal amant vînt la délivrer. Satan vint, en effet, mais pour emporter l’ame.
Que cherche donc le pervers, comme l’appelle Dante, lorsqu’il vient ainsi souiller ces filles d’Ève, aussi faciles peut-être à tromper que leur mère ? A-t-il besoin de tendresse, lui qui ne connaît que la haine ? Non. Il veut seulement, par un hideux contact, révéler le vice et le péché à ces ames chastes et rares, qui échappent aux séductions des hommes et que l’amour idéal seul pénètre sans les ternir, comme un rayon de soleil traverse un vitrail éblouissant ; il veut, en se croisant d’une part avec la race humaine, de l’autre avec les bêtes fauves, les lions, les tigres et les ours, l’altérer dans son essence et déposer en elle de nouveaux germes de perversité. Les enfans qui naissent de ces tristes unions ne ressemblent pas aux enfans des hommes, ils sont plus maigres et plus pesans, et ils gardent dans leur ame et dans leur corps quelque chose de la nature à la fois supérieure et dégradée de leur père. Ce sont des nains ou des géans, des prodiges de science ou de méchanceté. C’est l’évêque Guichard, que le peuple du diocèse de Paris désignait avec effroi sous le nom du fils de l’incube[2]. C’est l’enchanteur Merlin, ou Robert de Normandie, c’est Attila et la nation entière des Huns. Parmi les grandes familles du monde idéal ou du monde réel, plus d’un arbre généalogique a ses racines