regard peut embrasser du coin de leur cheminée. Je sens que la femme qui, douée du talent de bien dire, garde pour elle seule et pour les heureux qu’elle aime les trésors de son doux langage, me sera toujours infiniment plus chère que celle qui admet un public, même un public délicat, à jouir des beautés de son intelligence ; mais c’est là une opinion toute personnelle que je ne me flatte point de faire prévaloir. Il existe, je le sais, une classe de femmes qui écrivent sans céder à aucune ambition coupable et contre nature, quelquefois même pour atteindre les buts les plus légitimes, qui n’ont pas d’autre désir que de rendre les péripéties d’un drame du cœur ou de tirer de leur expérience quelques utiles préceptes. Cette classe-là doit prétendre aux sympathies de quelques-uns et au respect de tous. C’est contre Sapho et ses descendantes que je veux uniquement m’élever. Dernièrement, je voyais en tête d’une vieille édition allemande le portrait de Sapho gravé d’après une médaille antique. Dans son front développé, dans ses narines ouvertes, dans sa bouche fortement accusée, il y a quelque chose de viril qui m’a rappelé les traits de cette tzarine dont je parlais tout à l’heure. À quel sexe appartient la beauté d’un pareil visage ? Il est bien difficile de le dire. À quel sexe appartenait-elle elle-même ? C’est ce qu’il serait plus difficile encore de décider. Les puissantes fureurs de l’homme et l’attrayante langueur de la femme se confondaient dans cette ame étrange comme les contours efféminés se confondent avec les lignes vigoureuses dans la statue de l’Hermaphrodite. Eh bien ! ce mélange des sentimens et même des appétits de deux sexes, qui fit jadis de la muse de Lesbos une créature digne d’être placée dans l’île fabuleuse inventée par les mignons d’Henri III, il faut s’attendre à le retrouver éternellement chez la femme qui sera poète dans toute la plénitude du sens qu’a reçu cette expression.
Heureusement celles dont nous parlons aujourd’hui ne portent ce grand et formidable titre de poète qu’à défaut d’un autre nom qui puisse mieux les caractériser. Ce n’est point que quelques-unes d’entre elles n’aient poussé l’ambition aussi loin que possible ; mais leurs talens, à défaut de leur vie, que je ne me crois point le droit d’interroger, me rassurent un peu sur l’état de leurs ames. L’arbre auquel Dieu a suspendu dans des fruits tentans et dorés la science du bien et du mal est trop élevé pour qu’elles atteignent jamais à ses branches. Bien loin de les en plaindre, je ne puis que les en féliciter.
Parmi les devancières de nos femmes poètes, je ne connais un peu familièrement que Mme Deshoulières, qui fit, comme chacun sait, une