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mann et Typhon rappellent en effet, comme Satan, l’idée du crime, de la douleur et de la mort, la lutte des ténèbres contre la lumière, du mensonge contre la vérité. Les symboles diffèrent à peine : le scorpion est l’emblème de Typhon, et le serpent, l’emblème du diable ; cependant il y a un abîme entre l’ange déchu des traditions chrétiennes et l’esprit de ténèbres des croyances orientales. Ahrimann est coéternel au Dieu bon, il a comme lui la puissance créatrice ; il lui dispute l’empire du monde ; quelquefois même il parvient à l’usurper. Typhon triomphe également d’Osiris. Dans la tradition chrétienne, au contraire, le diable n’est jamais qu’un vaincu ; Dieu garde l’omnipotence, et s’il permet quelquefois à cet esprit de mensonge, qu’il a frappé d’un arrêt sans merci, de tenter, de tourmenter cette autre créature également déchue, aussi méchante peut-être, mais qu’il a rachetée au prix du sang de son fils, c’est qu’il est écrit que l’homme doit gagner sa couronne par le combat. Satan peut nous exciter au mal ; il ne peut jamais nous y contraindre. Sa colère, comme celle de l’Océan, s’arrête aux limites posées par l’Éternel, et se brise souvent contre un grain de sable.

Voilà ce que la théologie, la philosophie, la sorcellerie du moyen-âge, qui se mêlent et se confondent souvent, ont enseigné, à des époques extrêmes et diverses, des origines, de la déchéance, de la personne et du caractère du diable. Nous allons puiser encore à ces sources obscures pour raconter sa vie depuis le jour où la première femme succomba sous ses ruses, jusqu’au moment où, à son tour, il succomba sous les sarcasmes de Voltaire. Nous le suivrons pas à pas dans son enfance, sa jeunesse, sa décrépitude, en un mot, dans toutes les phases de sa vie publique et officielle, qui se partage en périodes distinctes et tranchées. Ainsi, avant la venue du Christ, comme un rival puissant et oppresseur, il disputera à Dieu l’adoration des peuples ; à l’avénement de la loi nouvelle, il défendra les autels du monde païen ; à travers le moyen-âge, tentateur et bourreau, il obsédera les moines et les saints, et se fera le complice de tous les crimes, l’artisan de tous les désastres ; au XVIe siècle, il se mêlera à toutes les disputes, à toutes les arguties ; il sera papiste, luthérien, calviniste, railleur et goguenard, comme les bourgeois de cette grande et cynique époque. Ce sera là, comme l’eût dit Olivier Maillard, le premier point de notre discours touchant le malin esprit.

II.

Il y a bientôt six mille ans que le diable a fait sa première visite à la terre, et nous subissons encore chaque jour, par le crime et la douleur, les conséquences de cette terrible apparition. Ève s’éveillait à peine sur les gazons du paradis terrestre que déjà le démon la guettait pour la tromper. Il s’approcha d’elle comme on s’approche d’une femme qu’on veut séduire, avec des paroles caressantes, des complimens sur sa beauté, et lui fit manger, ainsi que l’a dit Milton, la mort et le péché dans une pomme. Encouragé par ce pre-