hélas ! le seul avantage que nous ayons sur les moines et sur les saints), nous trouverons peut-être quelque intérêt à faire apparaître Satan, non pour lui demander, comme les sorciers, le bonheur, la science, l’amour sans inquiétude et sans larmes, tout ce que l’homme poursuit sans l’atteindre, mais simplement pour le prier de nous conter son histoire, histoire multiple et difficile, qui remonte à la source même des jours, sombre biographie d’un fantôme qu’il faut reconstituer d’après des rêves. Il s’agit d’une biographie, éclaircissons d’abord le mystère des origines.
L’Écriture, qui parle souvent du diable, ne dit pas quand et pourquoi l’auteur des choses l’a tiré du néant. Dieu, qui le nomme et le maudit par la voix de ses prophètes, se tait sur son âge ; mais, quand Dieu se tait, l’homme veut deviner encore. Aux premiers siècles de l’église, le manichéen Bardesanes, s’inspirant des traditions du dualisme, élève le diable jusqu’à l’idée de cause, et il en fait une sorte d’être en soi qu’il oppose au principe du bien. Priscillien le fait naître du chaos et des ténèbres ; Tatien, d’un rayon de la matière et de la méchanceté[1]. — Dans la Judée, au temps de saint Jérôme, les uns lui donnent pour père Léviathan, le grand dragon de la mer ; les autres le chef des anges qui s’unirent avec les filles des hommes avant le déluge. — Selon saint Augustin, Dieu aurait créé les bons et les mauvais esprits comme un poète qui, pour relever les beautés de son œuvre, y sème les antithèses ; cependant, si grandes que soient l’autorité de l’évêque d’Hippone et sa pénétration dans ce qui touche les mystères, il est peu probable que l’éternel artiste qui a fait ce monde y ait introduit le mal par une fantaisie de rhéteur. — Selon la tradition dogmatique, Satan et ses anges, innocens et purs dans l’origine, appartenaient à cette classe d’intelligences supérieures qui étaient comme les prémices de la création. Ils habitaient les régions de la lumière et de la sérénité, et Dieu les avait initiés aux secrets de sa sagesse, mais ils ne tardèrent point à déchoir de leur rang suprême en cédant aux inspirations d’une volonté mauvaise. Ils tombèrent par l’orgueil et la concupiscence : par l’orgueil, en cherchant à s’élever d’eux-mêmes, et sans le secours de la grace, à l’éternelle béatitude, en disputant à Dieu la souveraine puissance, en lui refusant, comme des vassaux révoltés, l’acte de foi et d’hommage. Ils tombèrent par la concupiscence en demandant aux filles des hommes des caresses et des voluptés que de purs esprits ne doivent pas connaître. Dieu, pour les punir, les bannit de sa présence en les maudissant, et leur place ne fut plus trouvée dans le ciel, comme le dit saint Jean.
Le diable, ainsi que l’homme, n’est donc qu’une créature déchue. À dater de sa chute, il commence sur la terre une vie nouvelle et désolée, et dans le séjour de son éternel exil, il s’enveloppe de tant d’ombre et de mystère, que, malgré ses fréquentes apparitions et les nombreux témoignages de ceux qui l’ont vu, il est presque impossible de donner de sa personne un signale-
- ↑ Clementis Alex., Homil. XX.