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LES FEMMES POÈTES.

livrées à une entreprise qui réclame la liberté de leur esprit, ne demandent à ce qui les entoure que des affections qu’elles puissent briser. L’une veille le regard sur des cartes, l’autre veille le regard sur des livres ; mais ni l’une ni l’autre ne veille auprès d’un berceau. Comment appeler une créature dont le sein, destiné à allaiter des enfans et à renfermer les joies maternelles, demeure stérile et ne bat que pour des sentimens d’orgueil, dont la bouche, faite pour livrer passage à de tendres accens, s’ouvre pour prononcer de hardies et bruyantes paroles, dont les yeux, créés pour sourire, pour être doux et ignorans, sont pensifs, sévères, et, quand certains éclairs les illuminent, laissent voir d’effrayantes profondeurs, enfin dont toutes les facultés et tous les organes ont pris une destination contraire à celle qui leur était assignée, comment appeler une pareille créature ? En vérité, je ne crois pas qu’il y ait dans la langue qui se parle et même dans celle qui s’écrit, un nom qui puisse lui convenir.

On ne saurait donc se prononcer avec trop d’énergie contre la femme qui, de propos délibéré, s’élance sur l’hippogriffe du poète, mesurant de l’œil et défiant de la pensée les obstacles qu’elle devra franchir dans sa course haletante pour arriver à un but qui lui est interdit. Mais à côté de celles que le bruit enivre, que la mêlée attire, qui veulent la vie littéraire tout entière avec ses émotions et ses scandales, n’est-il point des femmes qui savent conquérir parmi les écrivains une place honorable sans avoir changé jamais la robe traînante en tunique de combat ? Je pourrais en citer un grand nombre dont l’existence reste murée ; on ne connaît d’elles que des œuvres qu’on se plaît à lire, et un nom qu’on aime à rappeler ; quelques-unes ne se doutent même pas des grades qu’elles gagnent dans une armée dont elles ne savent point faire partie. Celle qui, dans le siècle de La Bruyère et de La Rochefoucault, occupe une place qu’aucune autre place ne domine, comment est-elle venue à la gloire ? En laissant jouer son esprit et rêver son cœur dans une correspondance de famille. Le roman intime, tel que les temps modernes nous l’ont donné, avec ses détails qui réclament une observation patiente, avec ses nuances qui exigent une finesse exquise, appelait les talens féminins ; ces talens ne lui ont pas manqué. Un homme qui sait joindre la sensibilité du poète au discernement du critique, a bien des fois dans ce recueil même expliqué les gracieux mystères d’une littérature vers laquelle l’attirent de tendres et bienveillans instincts, cette littérature de femmes spirituelles et honnêtes, qui ne demandent leurs inspirations qu’aux objets que leur