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DES DERNIERS TRAVAUX SUR PASCAL.

ainsi que dans le récit déjà cité du libraire Desprez. D’un côté, on retrouve les changemens nécessaires dont on parlait à Port-Royal et qui ne modifient en aucune façon le sens et les expressions de l’auteur, et d’autre part, on rencontre des changemens très considérables qui altèrent gravement ce texte précieux. Ces derniers changemens ne sauraient nullement être imputés aux solitaires de Port-Royal, admirateurs passionnés de l’auteur, et qui voulaient (de l’aveu de tout le monde) conserver le sens et les expressions. C’est à la censure, qui était entre les mains des ennemis de Pascal (et dont on nous raconte qu’après avoir fait tous les changemens qu’elle avait voulus, elle pensait encore à mettre des cartons dans le volume), qu’il faut imputer les altérations que M. Cousin a découvertes et qu’il a fait connaître au public.

C’est encore pour ne pas trop effaroucher les approbateurs et l’abbé Le Camus, que Port-Royal se crut obligé d’omettre beaucoup de pensées qui auraient probablement empêché l’impression de ce livre. Les paroles de l’archevêque de Paris, que nous venons de rapporter, prouvent que ces retranchemens doivent être attribués surtout au même abbé Le Camus, qu’on savait n’avoir rien laissé que de fort à propos, et qui fut le véritable carnifex des Pensées. Port-Royal put, à la vérité, vouloir épargner au public le spectacle des tourmens et des luttes intérieures de Pascal, qui semblait parfois s’insurger contre Dieu, et que la superstition seule pouvait dompter ; mais les approbateurs n’auraient pas été plus faciles à cet égard, et nous ne croyons pas que l’abbé Le Camus eût permis, par exemple, l’impression du passage suivant : « Que dois-je faire ? Je ne vois qu’obscurité. Croiray-je que je ne suis rien ? Croiray-je que je suis Dieu ? » qu’on peut lire encore, avec d’autres du même genre, dans le manuscrit autographe des Pensées. — Nous le répétons : Port-Royal n’a fait dans les pensées de Pascal que des changemens peu considérables. S’il a complété quelques phrases qui, de l’aveu même de M. Cousin, en avaient besoin, il s’est attaché à conserver le sens et les expressions de l’auteur. Port-Royal a dû aussi, par des motifs de prudence et pour rendre possible la publication de ce livre, retrancher ce qui aurait porté les approbateurs à refuser l’impression ; mais les grands changemens, les altérations qui défigurent le texte, ne sauraient être attribués aux amis et aux admirateurs de Pascal. C’est la censure qui a mutilé et altéré les Pensées, car (et M. Cousin paraît l’oublier) sous Louis XIV rien ne s’imprimait en France qu’avec permission, rien qui n’eût été revu et corrigé.