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DES DERNIERS TRAVAUX SUR PASCAL.

avaient corrigé quelques années auparavant les phrases les plus inoffensives de Galilée. Voici un récit authentique qui explique toute cette affaire et qui a le mérite de montrer comment s’exerçait la censure en France au XVIIe siècle.

Après une lettre dans laquelle Arnauld dit à M. Périer au sujet des Pensées : « Je n’ai pu vous écrire plus tôt ni conférer avec ces messieurs sur les difficultés de M. l’abbé Le Camus ; j’espère que tout s’ajustera, et que, hors quelques endroits qu’il sera absolument bon de changer, on les fera convenir de laisser les autres comme ils sont[1], on trouve dans le Recueil de Pièces quelques pages qui montrent avec quelle sévérité les approbateurs examinèrent les Pensées, et qui prouvent qu’on fit dans ce livre tous les changemens qu’ils avaient jugé à propos de faire :

« Enfin, dit le Recueil de Pièces, l’ouvrage parut imprimé tout à la fin de l’an 1669, avec l’approbation de plusieurs évêques et d’un grand nombre de docteurs ; mais, avant qu’il fût public, il semble que M. de Perefixe, archevêque de Paris, fit quelque avance pour en arrêter le débit : au moins voici ce qui est à notre connaissance.

« Le prélat envoya un jour demander par l’un de ses aumôniers qui paroissoit fort empressé les Pensées de M. Pascal, que le sieur Desprez avoit imprimées, et lui fit dire que, sachant qu’il y en avoit deux impressions, il désiroit en avoir de l’une et de l’autre, afin d’en voir la différence. M. Desprez protesta qu’il n’en avoit fait qu’une seule impression, et qu’il n’avoit encore aucun exemplaire de relié, mais qu’il pourroit en procurer un le lendemain à monseigneur. Il alla aussitôt après voir M. Arnauld pour prendre son avis à ce sujet. M. Arnauld dit qu’il craignoit qu’il n’y eût quelque cabale pour empêcher le débit de ce livre ; que néanmoins il ne croyoit pas qu’il y eût lieu de l’appréhender à cause des approbations, et qu’il étoit d’avis qu’on en portât le lendemain un exemplaire à M. l’archevêque.

« Le sieur Desprez étoit prêt à partir, ayant le livre dans sa poche, lorsque le même aumônier revint et lui dit qu’il avoit oublié la veille de lui dire, de la part de M. l’archevêque, qu’on l’avoit averti qu’il y avoit quelque chose dans cet ouvrage qui pouvoit lui faire donner quelque atteinte si on ne le changeoit, et qu’il valloit mieux y mettre un carton avant que de l’exposer en vente, afin qu’on le pût voir

  1. M. Cousin, qui ne parle jamais des suppressions et des changemens exigés par la censure, et qui veut tout faire retomber sur Port-Royal, cite dans son dernier article cette lettre d’Arnauld, mais il a grand soin d’omettre le passage que nous donnons ici et qui décide la question.