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jeune, très pieuse et très charitable, avoit un très grand nombre de pauvres familles à qui elle donnoit une petite somme par mois. Or, entre les pauvres femmes, à qui elle faisoit ainsi la charité, il y en avoit une qui avoit la réputation d’être sorcière ; tout le monde le luy disoit, mais ma grand’mère, qui n’étoit pas de ces femmes crédules, et qui avoit beaucoup d’esprit, se moqua de ces avis, et continuoit toujours à luy faire l’aumône. Dans ce temps-là il arriva que le petit Pascal tomba dans une langueur semblable à ce qu’on appelle à Paris tomber en chartre ; mais cette langueur étoit accompagnée de deux circonstances qui ne sont pas ordinaires : l’une qu’il ne pouvoit pas souffrir de voir de l’eau sans tomber dans des transports d’emportemens très grands ; et l’autre, bien plus étonnante, c’est qu’il ne pouvoit souffrir son père et sa mère proches l’un de l’autre. Il souffroit avec plaisir les caresses de l’un et de l’autre en particulier ; mais, aussitôt qu’ils s’approchoient ensemble, il crioit et se débattoit avec une violence excessive. Tout cela dura plus d’un an, durant lequel le mal augmentoit. Il tomba dans une telle extrémité qu’on le croyoit prez de mourir.

« Tout le monde disoit à mon grand-père et à ma grand’mère que c’étoit assurément un sort que cette sorcière avoit jeté sur l’enfant. Ils s’en moquaient l’un et l’autre, regardant ces discours comme des imaginations qu’on a quand on voit des choses extraordinaires. Ainsy, n’y faisant aucune attention, ils laissèrent toujours à cette femme une entrée libre dans leur maison, où elle recevoit la charité. Enfin mon grand père, importuné de tout ce qu’on luy disoit là-dessus, fit un jour entrer cette femme dans son cabinet, croyant que la manière dont il lui parleroit lui donnerait lieu de faire cesser tous ces bruits ; mais il fut très étonné lorsqu’aprez les premières paroles qu’il luy dit, auxquelles elle répondit seulement assez doucement que cela n’étoit point, et qu’on ne disoit cela d’elle que par envie à cause des charités qu’elle recevoit ; il voulut lui faire peur, car, feignant d’être assuré qu’elle avoit ensorcelé son enfant, il la menaça de la faire pendre si elle ne lui avouoit la vérité. Alors elle feut effrayée, et, se mettant à genoux, elle luy promit de luy dire tout s’il luy promettoit de luy sauver la vie. Sur cela mon grand-père, fort surpris, luy demanda ce qu’elle avoit fait, et ce qui l’avoit obligée à le faire ; elle luy dit que l’ayant prié de solliciter un procez pour elle, il le luy avoit refusé parce qu’il croyoit qu’il n’étoit pas bon, et que pour s’en venger elle avoit jeté un sort sur son enfant qu’elle voyoit qu’il aimoit tendrement, et qu’elle étoit bien