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LES FEMMES POÈTES.

plus profanes et des plus poétiques de ses chansons, conduit au même séjour de béatitude infinie celle qui a donné le plaisir et celle qui a versé la paix, celle qui a consolé la douleur par des baisers, celle qui l’a calmée par des prières ; l’insouciante et généreuse fille qui a prodigué ses attraits dans une pensée d’amour, la vierge sacrée qui a enseveli les siens dans une pensée de charité. Si charmant, si ingénieux que soit ce parallèle de poète, il m’a toujours paru blessant et impie dans le sens éternel du mot. Le regard où se réfléchit le ciel comparé à celui où s’allume le désir, la main lascive qui se laisse conduire par la volupté comparée à la chaste main qui se pose avec un intrépide courage sur des plaies saignantes, ce sont là des idées qu’on ne saurait accepter. Entre la femme qui, vierge ou mère, a conservé le droit de garder son voile et celle à qui il n’est plus permis de s’envelopper dans le sien, toute comparaison, même déguisée, même lointaine, me semble contraire à cette pudeur qui se confond avec le goût dans quelques organisations. Mais, tout en séparant par d’immenses intervalles les deux races de femmes qui habitent les deux royaumes entre lesquels se partage le monde, il faut savoir rendre une justice égale à chacune d’elles. Une de ces deux races peut pécher contre les lois de Dieu, ni l’une ni l’autre n’intervertissent l’ordre des choses humaines, tandis que j’en sais une troisième qui, si elle était plus nombreuse, formerait au milieu de la société une étrange et inutile tribu semblable à celle de ces amazones dont nous parlions tout à l’heure. Supposez une femme qu’un funeste caprice du ciel ait fait poète, vraiment poète ; sa vie se passera tout entière en dehors des lois de l’humanité. S’il faut des preuves pour vous en convaincre, jetons ensemble un regard sur la carrière qu’elle peut parcourir.

Un certain jour, et à une certaine heure, les médecins déclarent qu’il est venu au monde une créature du sexe féminin. On lui cherche dans le calendrier quelque doux nom qui rappelle de pieux ou tendres souvenirs, comme Marie ou Madeleine ; c’est une fille, c’est bien une fille ; tout le monde la reconnaît comme telle. Sa mère a déjà construit pour elle toute une vie calme, ignorante et heureuse, entre le jour où elle lui mettra la robe blanche du baptême, et celui où elle lui essaiera le chapeau de mariée. Eh bien ! voilà qu’en grandissant, l’enfant qu’on persiste toujours à nommer une femme prend des allures étranges. Elle a dix ans à peine, et il y a des instans où son regard est triste ; elle fuit ses compagnes, cherche l’isolement et n’attire jamais sur ses joues le joyeux vermillon que le jeu pourrait