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haute voix, et motive son vote ; et comme d’ordinaire l’examen de toutes ces pièces ne dure pas moins de six semaines ou de deux mois, chacun a le temps de faire ses réflexions, d’étudier le sujet sous tous les aspects : aussi sommes-nous convaincu que, si le public connaissait ces délibérations et ces votes, il en recevrait l’impression la plus favorable. Pour montrer par un seul exemple avec quelle conscience chaque académicien remplit les fonctions de juge, il suffira de dire que, pendant que l’Académie se livrait à l’examen des Éloges de Pascal, nous avons rencontré un jour, dans la bibliothèque de l’Institut, un écrivain célèbre, qui pourtant pourrait se passer de savoir la géométrie, lisant attentivement la trente-deuxième proposition d’Euclide pour éclaircir quelques doutes qu’une assertion hasardée d’un des concurrens avait fait naître dans son esprit.

Dieu merci, nous nous trouvons, et pour cause, dans le cas de pouvoir louer ou critiquer l’Académie française sans qu’il soit possible de nous attribuer aucune arrière-pensée ; personne ne pourra supposer que nous appartenions à cette famille d’honnêtes postulans qui, les uns d’un ton patelin et chapeau bas, les autres la menace à la bouche et l’escopette à la main, comme dans Gil Blas, demandent sur tous les tons qu’on leur ouvre les portes du sanctuaire. Dans notre admiration pour la pensée qui créa l’Institut, nous respectons un corps dans lequel les plus forts tiennent à grand honneur d’être admis, et nous ne comprendrions pas que de l’élite des esprits de la France il se formât une réunion sans avenir et sans vie, dont le premier venu serait appelé à se moquer. Demandez en effet quels sont chez nous les chefs de tout gouvernement possible, quels sont, dans les deux chambres, les plus brillans orateurs, les hommes qui décident des destinées du pays, et l’on vous répondra en nommant des membres de l’Académie française. Allez dans nos écoles, dirigez-vous vers une salle de spectacle, lisez les noms des professeurs les plus distingués, des auteurs les plus applaudis : ce sont des académiciens qui occupent le premier rang. Enfin, et par-dessus tout, cherchez de ces hommes rares, débris d’un âge qui n’est plus et que l’Europe entière entoure de son admiration et de son respect, et vous les trouverez à l’Académie française. Et cependant c’est une telle assemblée qu’on s’essaie tous les jours à couvrir de ridicule. Assurément il y a ici quelqu’un de mystifié, mais ce n’est pas l’Académie. Il faudrait laisser ces censures aux hommes destinés à rester toujours au dehors. Ceux qui peuvent plus tard fixer le choix de l’Académie devraient pressentir le danger et éviter les regrets et les trop brus-