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réunir qu’un très petit nombre, et peu de personnes firent attention aux œuvres posthumes du grand géomètre de Toulouse. Les Anglais seuls, qui avaient éprouvé ses coups, donnèrent de vifs regrets à une perte à laquelle la France ne se montra pas assez sensible. Pendant long-temps, Fermat parut oublié, et ce ne fut que vers le milieu du XVIIIe siècle qu’Euler et Lagrange réhabilitèrent cette illustre mémoire. Depuis lors, Fermat a repris son rang parmi les géomètres, mais sa gloire n’est pas populaire. Elle n’est connue que de quelques adeptes, et le suffrage universel n’a pas sanctionné le jugement des esprits les plus élevés. Il serait digne du ministre qui a voulu honorer si dignement la mémoire de Laplace, d’élever un monument semblable au génie de Fermat, dont les manuscrits les plus importans peut-être, retrouvés récemment, restent encore inédits. Il est temps que tout le monde sache en France que Fermat est tel, qu’on peut l’opposer à tous les géomètres du monde, sans excepter Archimède et Newton.

On ne saurait pas dire que ce soit précisément l’excès de la modestie qui ait nui à Descartes et à sa renommée. Chef d’école, repoussé vivement par les uns, admiré sans réserve par les autres, il eut au XVIIe siècle une immense réputation. Plus tard, l’esprit analytique des encyclopédistes ne put s’accommoder des erreurs de l’auteur du Discours de la Méthode, et il fut jugé avec une telle sévérité, que Voltaire ne craignit pas d’écrire dans le Dictionnaire philosophique : « L’ignorance préconise encore quelquefois Descartes, et même cette espèce d’amour-propre qu’on appelle national s’est efforcé de soutenir sa philosophie. » De telles paroles prononcées par l’homme qui régnait en maître au XVIIIe siècle semblaient devoir porter une atteinte irréparable au cartésianisme, et pourtant, de nos jours, non-seulement Descartes a eu d’éloquens apologistes, mais, par une réaction qui nous paraît excessive et par conséquent peu durable, on a voulu proclamer en lui l’intelligence la plus élevée, l’esprit le plus vaste que la France ait jamais produit.

On sera étonné de nous voir citer l’auteur si applaudi des Provinciales parmi les hommes dont la réputation a été soumise aux caprices de l’opinion ; mais, si l’admiration s’est toujours soutenue à l’égard de Pascal, elle a porté, à différentes époques, sur des qualités diverses et quelquefois opposées. Sa foi sincère contribua, autant que son génie, à lui mériter au XVIIe siècle l’estime de ses contemporains. Dans le siècle suivant, on honora le géomètre, on prôna l’éloquent ennemi des jésuites, mais l’on attribua à un affaiblissement d’esprit