Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/516

Cette page a été validée par deux contributeurs.
512
REVUE DES DEUX MONDES.

heureux, puisqu’il fait banqueroute à un pauvre peintre qui nourrit sa famille. » Michel Vanloo n’en réduisit pas pour cela l’ordinaire de sa famille à 2 1/2 du 100. Je vous demande pardon de vous parler si longuement d’un honnête homme ; je dois être ennuyeux comme la vertu, mais je vous prierai de remarquer qu’un pareil homme au XVIIIe siècle était presque un original.

Que vous dirai-je d’Amédée Vanloo ? Il fut le Benjamin de Jean-Baptiste, étudia sous ses yeux, le suivit long-temps, devint peintre du roi de Prusse, passa les plus beaux jours de sa vie en Allemagne, et ne fut guère connu en France que par deux Familles de Satyres. Il revint mourir sans bruit dans sa patrie. C’était encore un Vanloo, mais sans force, ou plutôt ce n’était qu’une copie des Vanloo. Il fut le dernier de cette famille de francs artistes. Carle Vanloo eut des fils, mais ceux-là n’eurent pas d’assez bonnes dents pour mordre à la pomme amère de l’art. Le nom de Vanloo, après avoir jeté quelques lueurs franches et quelques rayons trompeurs, s’éteignit donc pour jamais sur la tombe d’Amédée Vanloo.

La critique, après avoir exalté les Vanloo, les a dédaigneusement rejetés dans l’oubli ; les œuvres sont demeurées pour en appeler de ces jugemens aveugles. Tout en condamnant le clinquant et le sans-façon de la plupart de ces œuvres, il faut y reconnaître de brillantes inspirations. Après Le Poussin et Lesueur, les Vanloo n’apparaissent en France que comme des artistes de petite taille ; mais, à côté de nos peintres du XVIIIe siècle, Boucher à leur tête, les Vanloo reprennent je ne sais quel caractère de noblesse, sinon de grandeur. Grace à eux, l’art français conservait encore la palme. Ils ont été premiers peintres des rois de France, d’Espagne, de Sardaigne et de Prusse, en un mot les maîtres dans tous les pays des arts ; on n’est pas si bien placé sans raison. La France leur doit d’avoir suivi à peu près le vrai sillon à l’heure où tant d’autres s’égaraient en mille détours trompeurs. J’ai pensé que leur franche et douce physionomie était digne d’être ranimée ici, qu’un autre jugement pouvait être rendu sur leurs œuvres. Puisque le bon Jacques Vanloo avait cru la France hospitalière, ne négligeons aucun des devoirs de l’hospitalité, accordons à leurs ombres un modeste mausolée où nous écrirons, après de justes éloges, cette simple ligne : La dure pauvreté pour les uns, l’amour de l’or pour les autres, ont trop souvent conduit leur main. Triste épitaphe qu’on pourrait inscrire sur la tombe de plus d’un artiste de notre temps !


A. Houssaye.