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LES VANLOO.

il corrigea l’école française, que Coypel, De Troy et Watteau avaient livrée à un goût théâtral, maniéré et précieux. Quoique fuyant et mou, son dessin était agréable ; son pinceau était moelleux ; il variait avec beaucoup de talent le style du crayon et du pinceau ; il passait sans effort de l’effet énergique et sévère au ton argentin et suave. Sa couleur, quoiqu’un peu rouge et blanche, a du charme et de l’attrait ; mais, en visant à l’éclat, il touche souvent au clinquant. Ses airs de tête sont aimables, trop peu variés ; c’est toujours la même figure comme dans l’œuvre de Watteau, avec moins d’esprit. L’expression manque souvent ; c’est plutôt de la noblesse que du caractère, plutôt de la grace que de la beauté. Après l’avoir mis en parallèle avec Rubens, on n’a pas craint de le comparer à Raphaël pour le dessin, au Corrège pour le pinceau, au Titien pour la couleur. Après ces éloges sacriléges, on l’a dénigré outre mesure ; ses tableaux n’étaient plus que de la pelure d’oignon, et autres métaphores d’atelier. Maintenant que la critique moderne a répandu une grande lumière sur l’art français, tout le monde voit Vanloo sans prisme, tel qu’il fut : un peintre très habile, arrivant presque au génie par hasard, comme d’autres y arrivent naturellement. Sa facilité était merveilleuse et déplorable ; parfois il se prenait de belle colère contre lui-même ; il détruisait d’un coup de pied ou d’un coup de pinceau l’œuvre de plusieurs semaines. Au salon de 1763, on lui dit que ses Graces enchaînées par l’Amour étaient des Graces enchaînantes du Palais-Royal ; il supprima ce joli tableau, au grand regret de plusieurs artistes. C’était un travailleur formidable et robuste. On était toujours sûr de le rencontrer dans son atelier ; il peignait douze heures durant ; toujours debout. Quoique élevé dans le midi, il n’aimait pas le feu et ne se plaignait jamais du froid. Il parlait de son art comme un ignorant, dans un jargon très pittoresque. C’était un vrai Flamand pour l’esprit ; bête à faire peur, disait Mme de Pompadour ; brute, disait tout simplement Diderot ; cependant Vanloo avait des saillies heureuses. Mais il est reconnu que de tout temps les beaux parleurs ne furent bons à rien ; ils ont toujours de l’esprit au bout des lèvres ; voyez-les à l’œuvre : la plume ou le pinceau leur tombe des mains. Pauvres prédicateurs ! ils ont prêché le bien, mais ils n’ont plus la force de le faire, et il s’est trouvé par hasard quelqu’un qui, durant leur sermon, a fait une bonne œuvre sans savoir ce qu’il faisait. Le bel-esprit est souvent en guerre avec les plus nobles et les plus saintes ardeurs ; on n’a pas cet esprit-là sans qu’il en coûte beaucoup ; plus d’une saillie brillante n’est éclose que sur les