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III.

Jusqu’à présent, les Vanloo ne sont Français qu’à demi. L’un vient à Paris quand son talent décline, l’autre quitte Paris en ses plus beaux jours ; l’un meurt à Paris, et sa dernière pensée est pour la Hollande ; l’autre meurt à Nice, en songeant que l’artiste a le monde pour patrie. Patience, cette forte plante qui a pris racine dans les gras pâturages de la Flandre, qui est allée s’épanouir au soleil d’Italie, va venir plus verdoyante que jamais, avec Jean-Baptiste Vanloo, se planter en France quand la France sera l’Éden des arts.

Jean-Baptiste Vanloo naquit à Aix en 1684. Quoique alors il y eût plus d’un enfant du peuple et même plus d’un enfant de gentilhomme qui apprît à lire et à écrire, son père ne songea pas à lui donner ni alphabet ni plume ; mais de bonne heure il lui mit le crayon à la main. Aussi Jean-Baptiste devint rapidement un remarquable dessinateur ; à sept ans, il copiait les grands maîtres avec une facilité merveilleuse : c’était un tour de force. À douze ans, il partit résolument de la maison paternelle pour aller copier dans les églises de Toulouse, de Montpellier, de Marseille, les tableaux renommés. Il rejoignit son père à Nice avec un carton de dessins qui fut l’orgueil du vieux peintre. Le lendemain de son retour, son père lui mit un pinceau à la main. — Voyons, lui dit-il, voyons si tu es né peintre. — Jean-Baptiste se mit à l’œuvre sans y regarder à deux fois. En moins d’une heure et demie, il peignit une tête dans un tableau de Louis Vanloo, qui n’y voulut pas retoucher.

Après quelques années d’atelier, il fut appelé à Toulon pour restaurer deux tableaux italiens. Il eut, on ne sait pourquoi, un procès avec le chapitre. S’étant s’imaginé qu’il fallait savoir lire et écrire pour plaider sa cause, il prit un avocat. L’avocat avait une belle fille, Jean-Baptiste Vanloo en devint amoureux. Cette belle fille était à marier ; or, un amant était presque un mari à ses yeux. Elle accueillit avec un doux sourire les œillades passionnées du jeune peintre, qui vint dix fois expliquer son droit à l’avocat. Qu’arriva-t-il ? Le grand jour du procès, pendant que l’homme de loi plaidait la cause du peintre au tribunal, le peintre alla lui-même plaider, avec plus d’éloquence peut-être, son autre cause auprès de la fille de l’avocat. Il gagna ses deux procès. La plaidoirie de Vanloo avait été si victorieuse, qu’à son retour le digne avocat comprit qu’il n’avait plus un mot à dire. — C’est la seule malice que j’aie faite en ma vie, disait