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LES VANLOO.

— Ton affaire est faite, lui dit son ami ; une cousine de ma femme, ayant passablement d’écus au soleil, mais laide comme le péché d’envie. Que t’importe la figure, à toi, qui ne vois jamais que des figures d’anges ?

— J’ai une autre façon de voir les choses, dit Vanloo ; je suis d’avis que la beauté dans le mariage est le meilleur argent comptant.

— Ton affaire est faite, répond l’ami ; une autre cousine de ma femme, Marie Fossé. Celle-là n’a que ses beaux yeux noirs. C’est une madone de Raphaël.

Louis Vanloo se maria avec la seconde cousine ; il n’eut pas lieu de jamais regretter l’autre. Il devint le meilleur mari du monde. Il faut dire que sa femme lui voulait toujours servir de modèle et lui défendait de faire des portraits de femme. Il eut dès la première année du mariage un fils, qui hérita de ses passions et de son talent. Mais, avant de suivre Jean-Baptiste Vanloo, voyons comment s’acheva la vie de son père.

Peu d’évènemens lui survinrent après la naissance de son premier fils. Les biographes indiquent à peine qu’il alla d’Aix à Toulon peindre un saint François pour la chapelle des pénitens gris ; de Toulon il passa à Nice, où il eut un second fils, Carle Vanloo, et où il mourut. Il mourut comme son père, le pinceau à la main. Sa femme, ne le voyant pas venir pour dîner ; descend à son atelier ; elle appelle, il ne répond pas ; elle va à lui, elle voit sa pâleur et ses yeux égarés, elle pousse un cri de terreur.

— Ce n’est pas cela ! ce n’est pas cela ! dit Louis Vanloo en agitant sa main armée du pinceau.

Son fils, arrivé depuis peu à Nice, survient à cet instant solennel ; il prend son père dans ses bras, le porte dans son lit, lui prodigue des secours ; mais c’en était fait de Louis Vanloo. À peine dans son lit, il s’endormit pour jamais (octobre 1712). On l’inhuma dans le côté droit d’une chapelle qu’il avait peinte à fresque.

Louis Vanloo était un grand dessinateur, il avait une touche énergique, entendait bien le clair-obscur, et trouvait avec bonheur la mise en scène. Son tableau de saint François fit un certain bruit par son caractère grandiose ; ses fresques surtout lui ont laissé de la renommée. Son coloris, qui était très passable, tournait trop au violet. Il avait au plus haut degré la mémoire des figures ; aussi ne prenait-il jamais de modèles, disant qu’il avait dans le souvenir des vierges et des saintes de toutes les façons.