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LES VANLOO.

éparpillée dans quelques églises et quelques musées. Son vrai titre de gloire, c’est le portrait du père des Corneille, ou, si vous aimez mieux, c’est d’avoir été le chef de cette belle famille des Vanloo qui a jeté un vif éclat sur la peinture en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre et en Espagne. Il est mort le pinceau à la main, s’abusant sur son mal, ne voulant pas des secours de la médecine. On raconte que son fils, le voyant sur son fauteuil, la tête un peu penchée, s’imagina qu’il venait de s’endormir. Il s’approche, jette un regard sur l’œuvre ébauchée, prend la palette et retouche une tête de saint Jean. — Ce n’est pas cela, dit une voix funèbre. Louis Vanloo se retourne avec un sentiment d’effroi : — Que dites-vous, mon père ? — Jacques Vanloo n’avait pas remué, son fils le revit tel qu’il l’avait vu à son entrée à l’atelier. Inquiet de sa pâleur, il lui prit la main ; surpris de la trouver glacée, il appela son père ; Jacques Vanloo ne répondit point.

II.

Ce dernier mot du vieux peintre flamand, poursuivit long-temps son fils. Quand il n’était pas content de lui-même dans sa conscience d’homme ou d’artiste, il entendait cette voix fatale d’un mourant qui lui criait à diverses reprises : « Ce n’est pas cela ! ce n’est pas cela ! »

Il était demeuré l’ami du jeune Michel Corneille, qui, n’ayant pas d’autre passion que la peinture, avait fait un chemin rapide. Après avoir étudié à Rome, il était revenu peintre du roi. Alors de toutes parts palais et châteaux s’élevaient à Paris et autour de Paris. Michel Corneille était appelé partout pour les décors et les fresques ; Louis Vanloo, qui peignait à grands traits, lui devint d’un grand secours. L’heure était venue pour lui comme pour Corneille de faire sa fortune ; mais, ne se voulant pas résigner à laisser de côté les aventures galantes, la fortune lui tourna bientôt le dos. Il était devenu amoureux de la femme d’un gentilhomme de la Brie venue à Paris pour se faire peindre. On avait conduit cette dame à Vanloo, qui n’avait pas tardé à se mettre à l’œuvre. Elle était jolie, Vanloo était téméraire ; le mari, qui poursuivait une charge à la cour, n’était pas toujours à la séance. Or un jour Vanloo laissa tomber son pinceau aux pieds de la belle, qui ne s’en plaignit pas.

— Nous avons eu bonne et longue séance aujourd’hui, dit-elle à son mari ; vous arrivez comme nous finissons.

Le gentilhomme ramassa le pinceau de Vanloo sans mot dire, mais