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LES VANLOO.

voyager. Où aller ? En France, où tous les arts sont encore au berceau ; la France est hospitalière au talent, elle accueille du même sourire le poète, le peintre, le musicien ; ce ne sont que fanfares de joie à chaque nouveau venu. Louis Vanloo ira donc en France chercher la gloire et la fortune qui ont fait défaut à son père dans sa patrie.

Il partit un matin, le havresac sur l’épaule, le bâton à la main, l’espérance dans le cœur. Le père voulait partir aussi, mais il demeura avec sa mère, trop malade pour voyager. Parmi tous ces bons artistes flamands, il n’en est pas un qui n’ait sacrifié sa gloire à sa mère. Sacrifier sa gloire à sa mère, c’est tout simple. Cependant, je le dis à regret, en France il est plus d’un esprit aveugle qui sacrifie sa mère à sa gloire. Louis Vanloo traversa les Flandres en étudiant un peu. Après un pèlerinage de trois mois, il arriva à Paris, étant au bout de ses ressources. Il se présenta à l’atelier de Jean-Michel Corneille. — Maitre, lui dit-il en s’inclinant, voilà mes lettres de recommandations auprès de vous. — Disant cela ; il ouvrit un portefeuille parsemé de dessins d’une touche très fière. — En vertu de ces lettres de recommandation, je vous accueille comme un des miens, comme mon fils, dit Jean Corneille. À l’œuvre, mon jeune voyageur ; tout ce que j’ai est à vous, mon pain, mon vin et mes pinceaux.

Touché de cette hospitalité toute paternelle, Louis Vanloo étudia avec plus d’ardeur que jamais. Dès la seconde année, il obtint le premier prix de l’académie de peinture. Après ce triomphe, il se ralentit un peu, il se mit à courir les folles aventures. C’était un beau garçon taillé comme Hercule, il rencontrait peu de rebelles parmi toutes celles dont il faisait le portrait.

Cependant, sa mère étant morte, Jacques Vanloo prit avec sa femme le chemin de la France. Il arriva à Paris n’ayant pour tout bagage que trois ou quatre chefs-d’œuvre sérieux. Ce furent aussi ses lettres de recommandation dans la grande cité. — Vous êtes un grand peintre, lui dit gravement Jean Corneille ; aussi je suis bien fâché de vous avertir que dans notre pays, quand on veut faire vie qui dure, il ne faut pas faire œuvre qui dure. Je vous prédis que vous ferez encore des portraits.

Jean Corneille avait prédit juste. Ce Jean Corneille, père de Michel et Jean-Baptiste Corneille, était un vieux peintre naïf comme un maître de l’école allemande, aimant la peinture pour elle-même sans nul souci des écus blancs qu’elle apportait à son coffre. Il avait pour atelier un grenier de la rue Saint-Jacques tapissé de chefs-d’œuvre