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sa mère à Amsterdam, où il termina ses études. Il se fit rapidement une assez belle renommée dans la peinture historique ; il devint même un grand maître pour le nu par sa manière large et franche. Presque à son arrivée, il s’était marié avec une jeune fille du peuple, qui bien entendu n’était pas riche. Cette jeune fille ne tarda pas à lui donner un enfant de belle venue. À merveille, mais Jacques Vanloo avait d’un coup de ses dents de vingt-cinq ans dévoré les bribes de fortune échappées au naufrage ; sa grand’mère lui restait déjà vieille, toujours malade : comment faire pour nourrir sa grand’mère, sa mère, sa femme et son enfant, quand on n’est qu’un homme de génie ? Jacques Vanloo eut en même temps une boutique et un atelier ; dans l’atelier, il fit de la grande peinture, il dépensa sa plus noble ardeur, il répandit avec d’amères délices le feu sacré de son ame ; dans la boutique, il fit de la petite peinture, moins que de la petite peinture ; l’artiste était dépouillé de son sacerdoce et de sa sainte tunique, ce n’était plus qu’un ouvrier travaillant à toute heure sans attendre l’inspiration. Les tableaux, les mauvais tableaux, il est vrai, se créaient sous son vigilant pinceau comme sous la baguette des fées. Dans sa boutique, il faisait pour trois ou quatre florins le portrait du premier venu ; il faisait jusqu’à trois portraits par jour. Mais ce labeur surhumain ne le rendait pas plus riche. En homme bien élevé, il aimait le luxe, du moins pour sa femme ; il avait le cœur toujours ouvert aux pauvres ; plus d’un artiste sans feu ni lieu lui dut une généreuse assistance ; enfin il voulait que sa vieille mère oubliât qu’elle avait perdu sa fortune. Comme c’était un homme bien trempé, il résista à tous les chocs de la misère, à toutes les angoisses de son art. Toutefois, malgré sa bonne volonté, il lui fallut négliger bien plus l’atelier que la boutique. Aussi, dès que son fils eut huit ans, il le conduisit dans l’atelier et lui dit : C’est ici ta place, c’est ici que tu étudieras les grands maîtres. S’il te fallait un jour descendre dans la boutique comme ton pauvre père, dis à tout jamais adieu à l’atelier, brise tes pinceaux, deviens franchement et sans façon peintre d’enseignes comme moi ; car, moi, suis-je autre chose qu’un peintre d’enseignes ?

Le jeune Louis Vanloo ne tarda pas à jeter le désordre dans la maison paternelle par ses allures vagabondes ; il était grand ferrailleur et grand buveur de bière. Jacques ne désespéra point de son fils, disant qu’il avait aussi fait des siennes en sa première jeunesse ; il augura même sur ses débuts qu’il deviendrait un peintre de la bonne école. Le jeune homme eut à peine dix-sept ans, qu’il parla de