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MŒURS ÉLECTORALES DE LA GRANDE-BRETAGNE.

l’accomplissement du mandat qu’ils lui ont confié. Les juges du royaume en portant leurs sentences, les chambres du parlement dans leurs discussions et dans leurs votes, le souverain lui-même dans l’exercice de sa prérogative, agissent sous les yeux de la nation, et par conséquent sous l’impulsion de l’opinion publique. Pourquoi donc la classe privilégiée des électeurs serait-elle seule exempte de ce contrôle ? Pourquoi jouirait-elle du monopole d’une sorte d’impunité que ne possèdent ni les tribunaux, ni les chambres, ni la couronne ? Que sont les électeurs, sinon les représentans du reste de la population ? Et de quel droit exerceraient-ils, à l’ombre du scrutin, une dictature irresponsable qu’eux-mêmes ne voudraient point concéder à leurs représentans ? Si les 659 membres de la chambre des communes sont les délégués de 800,000 électeurs, ces 800,000 électeurs ne sont-ils pas eux-mêmes les délégués des 24 millions d’habitans de la Grande-Bretagne ?

Un autre argument des adversaires du scrutin secret, argument qui n’est pas exempt d’une certaine puérilité, c’est que le mystère est incompatible avec le caractère national des Anglais. Laissons encore parler lord John Russell : « Il reste à savoir, disait-il, si, quand vous aurez atteint ce vice politique de l’intimidation, vous ne l’aurez pas remplacé par le vice social et moral de la déception et du parjure ; quant à moi, je ne suis point prêt à faire cet échange… Si, par le secret du vote, vous arrivez à changer le caractère anglais, vous aurez peut-être diminué la somme de la corruption et de l’intimidation, mais le mal, le mal gigantesque que vous produirez, surpassera de beaucoup le bien que vous aurez pu faire, et la perte du caractère honnête, franc et loyal de l’Anglais sera un vide que rien ne pourra jamais combler. »

Ce genre de raisonnement peut avoir son prix dans une chambre anglaise, il peut flatter agréablement la fibre nationale, et nous ne nous étonnons point qu’il obtienne une sorte de popularité ; mais on nous permettra de n’y voir guère autre chose qu’une amplification patriotique dont l’effet n’est pas destiné à s’étendre au-delà de la frontière ni même au-delà de l’enceinte des deux chambres. Si la loyauté naturelle des Anglais ne leur permet pas de voter secrètement, elle devrait aussi bien leur interdire de voter contre leur conscience, et nous ne voyons pas trop en quoi le mystère est plus immoral que la vénalité.

De tous ces prétendus argumens, il n’en est pas un, nous sommes