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place forte dont les premiers occupans ne permettaient l’accès qu’à leurs amis, et qu’il fallait emporter d’assaut. De plus, les électeurs avaient quinze jours pour se faire inscrire, ce qui faisait quinze jours de cohue, de pugilat et de véritables batailles, très souvent sanglantes et assez souvent mortelles. Il y a dans les chroniques électorales de l’Angleterre des récits fabuleux sur ces campagnes de quinze jours qui tiennent tout-à-fait du roman. « Cet heureux temps n’est plus. » La Grande-Bretagne a beaucoup dégénéré sous le rapport du pittoresque. Depuis que, par l’effet du bill de réforme, le nombre des bureaux d’inscription a été multiplié indéfiniment selon le chiffre de la population, depuis que le nombre des jours de vote a été réduit de quinze à un seul pour les villes, et à deux pour les comtés, les élections ont perdu une grande partie de leur physionomie proverbiale.

L’Irlande seule a conservé le dépôt de ces traditions. Dans ce malheureux pays, où l’antagonisme des religions se perpétue de siècle en siècle, où la population est divisée en race conquérante et en race conquise, et où il y a une barrière infranchissable entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, le peuple est obligé de combattre, par l’intimidation brutale et la force ouverte, l’intimidation plus inique peut-être, quoique légale, de ses maîtres. Le prêtre catholique et le landlord protestant sont en présence ; le propriétaire dit à son fermier : « Vote pour mon candidat, où je te chasse de ta masure, » tandis que le prêtre lui dit. : « Vote pour le mien, où je te maudis et je te chasse du ciel. » Et le malheureux votant, ainsi placé entre l’expropriation et l’excommunication, suspendu entre le ciel et la terre, partagé entre le soin de son corps et le soin de son ame, ne peut pas même se dérober à son sort par la fuite ou la neutralité. De pareilles mœurs ne pouvaient être affectées par la législation tant que les circonstances qui les avaient créées restaient les mêmes. Aussi, depuis comme avant le bill de réforme, les élections irlandaises ont toujours été fécondes en scènes de tumulte, de violence, et quelquefois de carnage. « Dans un des comtés, dit un écrivain réformiste, nous avons vu tirer des coups de fusil sur la voiture du candidat, nous avons vu des bandes armées cerner les votans dans leurs maisons et les forcer, le pistolet sur la poitrine, à promettre leurs voix ; nous avons vu les électeurs ne pouvoir aller voter qu’avec une escorte de soldats ; ailleurs, nous avons vu creuser un fossé au milieu d’une grande route pour y faire verser la malle-poste qui transportait des votans opposés au candidat libéral. »