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sur l’inégalité, c’est-à-dire un retour volontaire vers l’indiscipline et l’abrutissement de l’état sauvage. Une communauté obligatoire aurait besoin d’être armée d’une bien grande force pour vaincre les résistances. Où est cette force, et peut-elle sérieusement exister ? Dans la plupart des combinaisons imaginaires qui viennent d’être parcourues ; on ne semble pas prévoir la nécessité d’un pouvoir coactif, et l’on fait reposer sur l’harmonie inaltérable des volontés toutes les garanties de ce régime. Pourtant le spectacle des sociétés actuelles n’invite guère à cette confiance au moins naïve. Pour y maintenir un ordre souvent troublé, ce n’est pas trop que d’avoir des tribunaux, des prisons, une police, des régimens. On se plaint de cette obligation de sévir, de cette lutte des esprits, de ce choc des activités rivales ; mais, en jetant un coup d’œil sur le globe, il est facile de se convaincre que les peuples animés de ces dispositions sont les seuls qui se fassent une place supérieure parmi les autres et président à la marche des civilisations. Aspire-t-on par hasard au bonheur indolent des hindous, à la quiétude stationnaire de la Chine ? Les gouvernemens de discussion sont sujets à quelques misères, mais ils ont aussi une part de grandeur : ils forment les intelligences par le combat, par l’agitation, par le mouvement. Exposés à se voir attaquer ; ils acquièrent les facultés nécessaires pour se défendre. L’éducation publique s’achève ainsi, et de là naît cette ardeur réfléchie qui semble être la dernière limite de la sagesse des nations.

Voilà ce qu’il faut comprendre lorsqu’on aspire à reconstituer un état social, quel qu’il soit. Un peuple unanime dans ses idées n’est pas un point de départ que l’on puisse gravement accepter. Les passions ne s’abdiquent pas. Sous quelque loi que l’on vive, il y aura toujours des ambitions mécontentes, des désirs inquiets, des volontés rétives. Si c’est l’égalité que l’on proclame, il y aura des gens et en grand nombre qui voudront l’inégalité. On les comprimera, dit-on ? Soit, mais alors l’égalité cesse : il y a des oppresseurs et des opprimés, des juges et des prévenus, des exécuteurs et des victimes. Le régime n’a changé que de nom : on recommence à distinguer entre les actes légitimes et ceux qui ne le sont pas, entre les idées permises et les idées défendues. À ce sujet, l’une des sectes communistes, plus conséquente que les autres, déclare que toute discussion du principe de la communauté sera sévèrement interdite et au besoin punie par l’esclavage perpétuel. À la bonne heure, voilà du moins une sanction ; mais qu’il soit permis de regarder encore comme plus raisonnable et plus humain un ordre social qui laisse, comme le nôtre, les