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privilégiés. Gatton et Old Sarum, qui portent des noms célèbres dans les fastes de la corruption électorale, n’avaient en réalité qu’un seul électeur. À Gatton, il y avait six maisons ; à Old Sarum, il ne restait que les ruines d’un ancien château qui conservaient cependant le privilége de se faire représenter. Lord John Russell ne pouvait-il pas dire justement : « Si un étranger venait voir comment cette sage et grande nation choisit ses représentans, ne serait-il pas profondément surpris si on lui montrait un monticule de verdure en lui disant qu’il envoie deux représentans au parlement, ou si on le menait à une muraille de pierre, en lui disant qu’elle nomme aussi deux représentans, ou si on le faisait promener dans un parc sans vestige d’habitation, en lui disant que ces arbres qu’il voit nomment encore deux représentans. »

On avait calculé que sur 658 membres du parlement, il y en avait 16 nommés par l’influence du gouvernement, et 471 par l’influence de 144 pairs et de 124 grands propriétaires. 7 pairs seulement faisaient nommer 63 membres de la seconde chambre. Le duc de Norfolk en faisait nommer 11 ; les ducs de Rutland et de Newcastle, chacun 7.

Ces bourgs, qui ont gardé le nom historique de bourgs pourris, se vendaient ou se transmettaient héréditairement avec leurs droits de représentation. Gatton fut acheté, en 1795, pour la somme de 2,750,000 francs. « Les siéges au parlement, disait M. Sheil, se vendent en plein vent ; il s’est établi une sorte de bazar parlementaire pour la vente des franchises du peuple ; on a vu les bourgs figurer dans les contrats de mariage et servir de dot. Dans l’Orient, quand une sultane se marie, il est d’usage de lui donner une province pour ses colliers, une autre pour ses bracelets, une autre pour sa ceinture ; sous notre système de représentation, nous ne serions pas étonnés de voir une femme à la mode recevoir Old Sarum pour ses épingles, et Gatton pour son douaire. »

Et cependant ces bourgs pourris eux-mêmes présentaient un singulier mélange de bien et de mal. C’était par cette porte qu’entraient des jeunes gens pleins d’avenir, mais sans fortune, et que la protection de quelque grande famille plaçait d’emblée sur la scène, dont leur pauvreté leur eût interdit l’accès. Les plus grands hommes parlementaires de l’Angleterre, Pitt, Fox, Burke, Sheridan, Canning, Brougham, sont entrés dans le parlement par des bourgs pourris ; de telle sorte que ces bourgs, qui faisaient la honte de la représentation anglaise, étaient particulièrement l’apanage et presque