Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
REVUE DES DEUX MONDES.

rations réalisables. Quoi qu’il en soit, on aurait tort d’attribuer à cet accident des civilisations plus de valeur qu’il n’en a, et de le représenter comme plus dangereux qu’il n’est. On a déjà vu passer beaucoup de ces sectes qui, après une agitation stérile, ont désarmé devant le bon sens public ; le communisme aura le même destin. Les systèmes qui mettent en cause la société tout entière ne sont jamais bien dangereux. La tâche est toujours hors de proportion avec l’effort, et il existe dans l’ensemble des convictions et des intérêts un contrepoids qui rend ces expériences inoffensives.

Ce qui fait justice de ces doctrines plus sûrement qu’aucune persécution, c’est le vide dans lequel on les voit s’agiter. Il est aisé de reconnaître, dès le premier coup-d’œil, que ces hommes qui veulent organiser un monde à leur guise ne connaissent pas les premiers élémens de celui qui existe. Leur prétention est de fonder une société sans famille, sans liberté, sans droit individuel. Tout leur idéal repose sur un sensualisme étroit ; les besoins du corps y occupent une telle place, que l’ame en est presque exclue. La loi religieuse avait eu jusqu’ici l’admirable soin de ménager, hors de cette vie, des compensations aux misères qui l’assiégent, misères physiques ou misères morales, et ces dernières ne sont pas les moindres ; le nouveau régime porte la main sur ces illusions, les déclare indignes d’une raison saine et calme. L’homme est enchaîné à la terre ; c’est en vue de la terre seule qu’il faut régler ses relations. Rien en-deçà, rien au-delà. Ainsi, par une logique exclusive, on arrive à ne tenir compte que du monde matériel et à proposer comme modèle le régime qui gouvernait l’île de Circé. Il n’y a pas à s’étonner que, dans cette voie d’abaissement, on ait fait bon marché de la liberté, de la volonté de l’homme, qu’on ait contesté son mérite dans le bien, sa responsabilité dans le mal. C’était une conséquence rigoureuse de la réhabilitation de l’instinct, du rôle supérieur qu’on lui assignait. Dans les choses sensibles, l’être se trouve en effet assujetti à une impulsion qu’il ne peut pas toujours vaincre et dominer ; il obéit au ressort qui le fait mouvoir. Une détermination libre ne se concilie qu’avec un but hors de la vie et une force pour l’atteindre. L’aspiration de l’homme vers l’infini et sa puissance sur le fini se confondent ainsi en une seule faculté qui lui sert à se conduire ici-bas en portant sa vue ailleurs. Hors de ce mobile, il n’y a plus que servitude aux exigences des sens, et, dans ce cas, il importe de régler avant tout le gouvernement de la matière. C’est ce que font les apôtres de la communauté, au risque d’exciter des désirs qu’ils ne pourront pas combler, de déchaîner des passions qu’ils ne pourront