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division de la propriété qui constitue la propriété et par conséquent l’homme à part de la communion avec tout l’univers, est également immorale et produit nécessairement l’immoralité et le mal. ». Si ces mots ont quelque valeur, ils signifient que la propriété ne doit pas être individuelle, mais commune, et que le droit d’occuper ne peut se prescrire pour personne dans l’intérêt de la communication de l’homme avec l’univers. En vain M. Pierre Leroux espère-t-il couvrir cette conclusion invincible par une subtile distinction entre la propriété et la propriété caste ; ce n’est là qu’une équivoque unie à une fausse acception de termes. Ces petits jeux de mots sont, du reste, familiers à M. Leroux ; il s’y plaît et en abuse. C’est ainsi qu’il a transporté le mot de communion du monde spirituel dans le monde sensible, où son équivalent est communauté.

En vérité, il est difficile de comprendre pourquoi M. Pierre Leroux s’évite ainsi lui-même et recule devant ses propres idées. La discussion théorique de la communauté n’offre aucun danger ; on peut confesser le principe d’une manière ouverte, et chaque jour cela se fait librement. La conscience n’est pas enchaînée sur ce point, et il ne semble pas que la persécution se soit attachée aux doctrines purement spéculatives. Si ce droit, maintenu presque dans tous les temps, était sérieusement menacé, il n’est pas de plume indépendante qui ne fût prête à le défendre. D’où vient donc que M. Pierre Leroux cherche un système hybride entre la propriété et la communauté ? D’où vient qu’il nie l’une sans affirmer l’autre ? Dans un écrit plus récent, il n’accepte le communisme que comme un état de transition, utile, non pour fonder, mais pour détruire. L’humanité est destinée, assure-t-il, à le traverser dans l’ordre social, comme elle traversera le panthéisme dans l’ordre religieux. Qu’est-ce à dire ? La communauté ne serait qu’un fléau, mais un fléau nécessaire ? Quoi ! les sociétés n’auraient marché dans des voies meilleures que pour voir leurs élémens se disperser au souffle du premier paradoxe ! On ne pourrait aspirer à une civilisation plus parfaite qu’en retombant dans les misères de la barbarie, et les créations futures ne s’élèveraient que sur les débris des institutions actuelles ! Est-ce là ce que prévoit M. Leroux ? Cette théorie des évolutions de l’humanité nous semblerait bien peu scientifique et encore moins religieuse. Elle supposerait une Providence capricieuse, se plaisant dans le spectacle d’efforts sans résultat et d’entreprises sans issue. La conscience se refuse à admettre, dans l’ordre des destinées, un jeu pareil et cette alternative fatale. Mieux vaut croire à la perfectibilité lente et graduelle des so-