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des croisades, amenèrent la diffusion de ces connaissances, confinées d’abord au-delà des Pyrénées. Au XIIIe siècle, Roger Bacon en Angleterre, Albert de Bollstadt, dit le grand Albert, en Allemagne, surent unir des notions scientifiques réelles aux rêveries alchimiques de leur époque. La France ne demeura pas long-temps en arrière : Arnault de Villeneuve, professeur de médecine à Montpellier, et Raymond Lulle, son disciple, firent faire de véritables progrès à la partie expérimentale de la chimie. Les procédés de distillation furent perfectionnés et vulgarisés ; les essences, l’eau-de-vie, l’alcool, furent découverts ou mieux étudiés. Mais l’élément alchimique est bien loin de perdre du terrain. La panacée universelle, la pierre philosophale, entrent toujours pour beaucoup dans les écrits de ce temps, et chaque auteur, pour ainsi dire, donne sa recette particulière en termes également inintelligibles. Pour faire l’élixir des sages, il faut prendre le mercure des philosophes, le transformer successivement par la calcination en lion vert et en lion rouge, le faire digérer au bain de sable avec l’esprit aigre des raisins, et distiller le produit. Les ombres cymmériennes couvriront la cucurbite de leur voile sombre, et l’on trouvera dans son intérieur un dragon noir qui mange sa queue, etc., etc… des superstitions de tout genre, la magie, l’évocation des démons, se joignent à des pratiques superstitieuses, et l’alchimiste, avant de se mettre à l’œuvre, entonne avec recueillement l’hymne sacré d’Hermès Trismégiste.

Cette période de la chimie s’étend jusqu’au milieu du XVIe siècle, et semble se résumer tout entière en la personne de Paracelse, prophète inspiré, disait-il, par les anges ses frères, dont la vie devait être éternelle grace à l’élixir des quintessences, et qui mourut dans un cabaret, à l’âge de quarante-huit ans, des suites d’une orgie ; homme d’ailleurs extraordinaire, qui malgré sa conduite extravagante et dissolue, eut sur son époque une influence incontestable. En dépit de ses erreurs et des absurdités dont il remplit ses nombreux ouvrages, Paracelse rendit de grands services à la chimie. Le premier, il professa publiquement cette science dans la ville de Bâle, popularisa des idées renfermées jusqu’à lui dans le secret de quelques laboratoires, et donna ainsi une impulsion puissante à ces études. Ses nombreux disciples se divisèrent bientôt en trois catégories distinctes. Les uns s’approprièrent ce que la vieille alchimie avait de réellement scientifique, et peuvent être regardés comme les fondateurs de la chimie moderne ; quelques autres se livrèrent exclusivement aux applications médicales ; un grand nombre, fidèles aux