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véritable emphytéose, un titre transmissible, sujet à délégation, un droit réel et non un vague usufruit. Si elle n’a pas ce caractère, elle ne signifie rien. Vainement voudrait-on concilier la possession paisible avec le maintien du droit d’occuper. Ces deux faits s’excluent. On ne possède pas réellement quand on se trouve placé sous la menace d’une éviction ; on ne sème pas sans savoir si l’on pourra recueillir ; on n’améliore pas un champ dont on peut être expulsé à toute heure. L’investiture doit donc être formelle pour que la possession ne soit pas un leurre et le travail une déception. On retombe alors ou dans la communauté, ou, à peu de chose près, dans la propriété telle qu’elle existe, avec sa double exploitation médiate et immédiate. Quoi qu’on fasse, on ne sortira pas de ce dilemme ; on ne trouvera pas de mode intermédiaire, de juste milieu entre la communauté et la propriété. Ce que l’on ajoutera de solidité à la possession la rapprochera de la propriété, ce qu’on lui opposera d’entraves la ramènera vers la communauté. Tout régime neutre serait impuissant. La vertu essentielle du principe de la propriété est d’attacher à chaque parcelle du sol une volonté, une intelligence, qui s’y intéressent. La possession garantie maintient ce mobile, la possession précaire l’anéantit. Le débat ne peut donc s’agiter qu’entre la gestion personnelle et la gestion universelle ; il faut reconnaître le droit de l’individu ou subir le droit de l’état. Entre ces deux situations, il n’y a de place que pour le sophisme.

Cependant il est une qualité que l’on ne saurait refuser à l’écrivain dont il vient d’être question, c’est la franchise. Il est net du moins, formel et catégorique ; il n’a pas l’air de rougir de sa croyance. Cet exemple devrait profiter à M. Pierre Leroux, qui n’a su ni résister ni céder aux tendances communistes. Attirant le problème social vers les nuages qu’habite sa pensée, il a eu le soin de l’y maintenir couvert d’un voile et flottant pour ainsi dire. Personne ne recule mieux que lui devant une conclusion ; ne la fuit plus résolument. Son grand art est de ménager toutes les doctrines et de leur échapper. La critique se trouve ainsi réduite à réfuter le néant, à discuter le vide. Sous le vernis d’une érudition indigeste, on aperçoit le désir de paraître mystérieux et profond, vague et réservé ; on suit les fluctuations d’une pensée qui s’avance et se retire, donne un gage et le reprend, n’accepte ni ne repousse, ne veut ni rompre ni se livrer. M. Pierre Leroux cite quelque part, d’après Mme de Staël, une anecdote d’Arlequin qui s’escamote lui-même et ne laisse, pour continuer la pièce, que sa robe et sa perruque. C’est là, plus qu’il ne se