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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

tus. Ali mort en 1821, il n’y eut plus aucun pacha en état de rivaliser avec Moustaï, et le gendre du tyran de l’Épire devint d’autant plus redoutable au dehors qu’il était plus aimé des siens.

La guerre qui se fit bientôt contre les Grecs causa une vive satisfaction aux Albanais. Ils employèrent mille ruses pour faire traîner les hostilités en longueur. C’est ainsi qu’ils épargnèrent Missolonghi, dont plus d’une fois ils auraient pu s’emparer. Cette ville leur servait, disaient-ils, de saraf (banquier). On ne peut calculer combien de millions ont été versés en Albanie par les cinq campagnes entreprises contre la Grèce. L’empressement avec lequel les Albanais couraient aux armes était loin d’ailleurs de déplaire au sultan. En se servant d’eux exclusivement pour ces expéditions, Mahmoud affaiblissait la race chkipétare, qui fut ainsi cruellement décimée.

En 1828, les Russes promirent au visir de Skadar, s’il les secondait, de le reconnaître comme souverain de l’Albanie. Aussitôt, à l’instigation de Moustaï, les Mirdites et les Djègues musulmans s’insurgèrent contre les Turcs. Mais quand vint le traité d’Andrinople, où le czar ne faisait nulle mention de l’Albanie, Moustaï comprit qu’on l’avait joué. Les sacs d’argent du pacha d’Égypte, complice de sa rébellion, consolèrent bientôt Moustaï et lui permirent d’échapper au châtiment de la Porte, en soldant des chefs de bandes qui guerroyèrent pour lui. Moustaï avait un prétexte plausible pour tolérer ces bandes : la Grèce venait d’être pacifiée, et la soldatesque albanaise licenciée courait le pays en pillant les villages. La contrée fût devenue inhabitable, si les petits chefs ne s’étaient coalisés pour exercer au moins une certaine police militaire.

Bientôt cette oligarchie aboutit à un triumvirat qui se composait de Veli-bey, de Seliktar-Poda et de son gendre Arslan-bey. Ces trois chefs ne pouvaient malheureusement vivre d’accord. Gouverneur de l’Albanie centrale, le rusé Seliktar retenait sous lui les débris de la faction d’Ali et les phars toskes, indignés de la perte de leurs antiques privilèges, irrités d’ailleurs de se voir contraints, à leur entrée dans le nizam, de quitter leur chère foustanelle pour le pantalon à la franca. — Ennemi personnel de Seliktar, Veli-bey soutenait le sultan et les réformes, uniquement par haine de son rival. Il possédait Janina, Metzovo, Arta et le port de Prevesa. Cependant sa déférence aux ordres de la Porte n’était qu’un masque, et à Janina il tenait presque en prison le pacha de cette ville, Emin Sadrazem Zadeh, brillant jeune homme de dix-neuf ans, qui occupait la partie encore habitable du palais du vieux lion. Le parti de Veli était peu nombreux,