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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

tsiganes chrétiens et musulmans. Ces donjons, ainsi que Fourka, Lenovico, et tant d’autres asiles de phars guerroyans, ont dû capituler et s’ouvrir devant les troupes turques envoyées de Berath. Au nom de l’ordre public, les pachas osmanlis imposent maintenant leur joug aux Toskes, dont l’anarchique liberté n’a plus d’asile que sur les côtes, au milieu des pirates. Ces derniers, incessamment recrutés par des renégats d’Italie et d’Autriche, enlèvent secrètement chez les Mirdites et les Grecs des troupes d’infortunés qu’ils savent, dans leurs repaires, dérober à toute recherche, et qu’ils font travailler comme esclaves.

Quittons ce rivage inhospitalier pour passer chez les industrieux Djamides ou Épirotes. La Djamourie fait partie de la grande province que les Hellènes appelaient ηπειρος (continent), pour la distinguer des îles Ioniennes. C’est la province albanaise qui renferme le plus de Grecs ; ils sont presque les seuls habitans de la capitale du pays, Janina ou Joanina.

Fondée par le sébastocrator Michel-Lucas, détruite au XIIe siècle par les Normands et les Napolitains, puis relevée par les rois serbes, et enfin agrandie par le despote Thomas, Janina était devenue très forte quand les Turcs l’enlevèrent aux Byzantins. Quoique ses malheurs ne puissent être comparés qu’à ceux de Carthage et de Numance, elle n’a gardé aucun monument historique. Ceux même qu’a élevés le trop fameux Ali-Pacha ont disparu. Janina comptait sous le règne de ce despote plus de quarante mille habitans ; elle n’en a pas aujourd’hui vingt mille, la garnison comprise, et son enceinte immense est pleine de décombres, de terrains incultes, de rues désertes. Une caserne du nizam a remplacé le château de Litharitsa, qui dominait la ville, et dont il ne reste plus que la grosse tour à cinq étages, bâtie d’énormes pierres de taille. Quant au sérail démantelé de Koulia, bien qu’il soit toujours la résidence des visirs successeurs d’Ali, il semble n’avoir plus pour défense que le tourbeh (mausolée) du tyran, dont la vue inspire encore la terreur. L’île de Koulia est séparée par un canal du kastro, qui couvre de ses débris et de son artillerie démontée toute la colline avancée dans le lac, au-dessus du ravin, où s’étend la ville marchande. Dans l’avenue du kastro, Ali faisait pendre, empaler, écorcher, brûler vivantes ses victimes. Cette citadelle, fortifiée par des Européens, était alors une place de premier ordre. Maintenant ouverte de tous côtés, Janina est résignée à recevoir autant de nouveaux maîtres qu’il plaît à la Porte de lui en envoyer. Quoique dans son sein la misère soit extrême, elle doit à