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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

fendre sa vie nuit et jour. Les seuls objets que l’indigène demande aux marchands, en échange de ses pelleteries et de ses viandes salées, sont du plomb et des armes.

Ce n’est qu’aux approches de Skadar, que la route commence à se border de petits villages formés de huttes semblables à des corbeilles d’osier, où une population vigoureuse et pure travaille et chante, animée par la vue des montagnes qui s’élèvent en échelons jusqu’à la ligne des neiges. Sans les tchetas dévastatrices des Monténégrins, le laboureur mirdite ferait un Éden de cette vaste plaine semée de vignobles et d’oliviers, qui s’étend de la base des monts au lac de Skadar. L’aspect de cette nappe d’eau est magnifique ; mais, si l’on est réduit à la traverser pour arriver à la ville, le charme de ses rives disparaît devant les craintes qu’inspire la caïque, formée d’un seul tronc d’arbre, et que le moindre faux mouvement ferait chavirer ; tombé parmi les herbes qui remplissent le lac, le plus habile nageur serait perdu.

De loin la capitale à demi slave des Djègues et des Mirdites paraît ravissante ; ses bazars et ses mosquées élèvent leurs nombreuses coupoles en amphithéâtre jusqu’à la cime rocailleuse où se dresse le castel serbe du Rosapha. Ce vieux grad, qui plane dans les airs à une hauteur de trois cent cinquante pieds, fut défendu au XVe siècle par Antoine Lorédan et une poignée de Vénitiens, contre soixante mille janissaires, qui n’obtinrent le Rosapha qu’en subissant les conditions imposées par ses défenseurs. Même aujourd’hui, on pourrait rendre cette forteresse imprenable, mais elle n’a peut-être pas dix canons en état de service, et ses trois mille garnisaires sont des enfans ou des vieillards. Le pacha qui y réside est très civilisé pour un Turc ; il a déjà quelques chaises dans son selamlik (salle d’audience), dont les fenêtres, à la vérité, attendent toujours des vitres. Au bas de la forteresse sont l’hôpital et la nouvelle caserne du nizam.

Skadar, l’antique Scodra de Pyrrhus et des Romains, en italien Scutari, en turc Iskenderiah (Alexandrie), la ville du bey Alexandre ou Skanderbeg, est le principal boulevard de l’Albanie. Située à sept lieues seulement de la mer, elle pourrait devenir un entrepôt commercial du premier ordre. Quelques manufactures d’armes et d’étoffes grossières entretiennent seules aujourd’hui l’activité industrielle de Skadar, et sa population atteint à peine le chiffre de 20,000 ames. Au nord de Skadar et de son lac s’élèvent, dans le désert, plusieurs petites places turques, sans cesse assiégées par les Monténégrins : ce sont Jabliak sur une hauteur dans une île de la Moratcha,