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en effet dans la péninsule, pour qu’on puisse désirer la fusion de tous les Gréco-Slaves au sein de l’église latine, qui est loin de rencontrer parmi eux les mêmes sympathies. C’est par l’union religieuse des rites qu’on arriverait le plus sûrement à la réconciliation des peuples.

Les fertiles vallées du Drin, où l’Ilirien du nord se mêle au Mirdite du sud, furent jadis la Dardanie, et s’appellent aujourd’hui la haute et la basse Dibre, nom qui peut se dériver du slavon dobrit (bon), à moins qu’on ne veuille, avec Anquetil-Duperron[1], le faire venir des Tibars, tribu persane. Si l’on quitte les Dibrans pour s’enfoncer dans les montagnes du nord-est, on y trouve d’autres phars également indépendans gouvernés par des knèzes électifs ; mais ce sont des phars musulmans composés de ces terribles Arnaoutes, qui fondent si souvent sur les caravanes de Salonik et sur les troupeaux serbes de la plaine de Kossovo. La Montagne des Boucliers (Kalkanderen) fait partie de cette chaîne. C’est là qu’habitent les Lakovlaks, brigands redoutés en Macédoine et en Bosnie. Ce phar s’appuie aux chaînes neigeuses du Tchar-dag, qui séparent la Serbie de l’Albanie. Les versans escarpés du Tchar-dag couverts de débris de forêts brûlées par la foudre ou par les pâtres, sont fréquemment le théâtre de ces tourbillons terribles connus dans le Mont-Cenis, et qui, partant de plusieurs directions opposées, brisent les caravanes entières contre les rochers ou les lancent au fond des précipices. Dans ce désert sauvage se cache Prisren, ville de quinze mille ames, occupée par des beys musulmans plus cruels que les ours et les aigles du Tchar-dag, et qui font peser un joug terrible sur leurs rayas serbes. L’ancien château des rois de Serbie élève encore au-dessus de la ville, étagée en amphithéâtre, son carré de murailles protectrices, qui couronnent comme un diadème le rocher de Prisren. Mais ces murailles ne protègent plus que les tyrans, et c’est en vain que chaque année les rebelles mirdites, privés de canons, attaquent cette citadelle dominée pourtant au sud et à l’est, et où la moindre pièce d’artillerie ouvrirait des brèches irréparables. Tout le long de cette frontière, les Bosniaques et les Serbes ont adopté le phistan, et vivent comme de vrais Albanais au milieu de tchetas presque continuelles ; aussi l’espace de trente lieues de Prisren à Skadar est-il un vaste désert, un chaos de rochers arides et de savanes désolées où l’homme doit vivre nomade, prêt à dé-

  1. Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, tome XLV.