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des conditions subalternes. On ne les reconnaît pas formellement, c’est tout au plus si on les tolère. Est-ce là une situation que des écrivains puissent reconnaître sans manquer à leur propre dignité ? Le communisme exclut les lettres, et il trouverait dans les lettres des défenseurs et des apologistes ! On a de la peine à admettre une semblable confusion d’idées et une telle erreur de conduite.

La dialectique fournit aussi de ces sophistes inconséquens, et en première ligne un écrivain qui se défend d’être communiste, tout en se déclarant l’adversaire implacable de la propriété[1]. Telle est la logique des logiciens quand l’argumentation les emporte hors des réalités. Cette illusion leur est d’ailleurs commune avec diverses sectes qui ont la prétention d’introduire dans les sciences morales et sociales les méthodes et les procédés des sciences exactes. Le bonheur humain n’est à leurs yeux qu’une équation, compliquée sans doute mais point insoluble ; les passions sont autant d’inconnues qu’il faut dégager, et toutes les relations des êtres peuvent se déterminer à l’aide de formules mathématiques. Organiser scientifiquement la vie, telle est leur chimère. L’écrivain dont il est ici question sacrifie à cette déception récente ; seulement, au lieu de prendre son point d’appui dans les nombres, il le place dans l’induction et le syllogisme. Armé d’une verve incisive et d’une érudition tranchante, il recherche ce qu’il y a d’absolu dans le droit de propriété, et déploie dans cette étude des qualités qui auraient fait le plus grand honneur à un nominaliste du moyen-âge. Même aux meilleurs temps de l’Organon, ces affirmations, avec leur solidité apparente, auraient été remarquées, et de nos jours des esprits distingués n’ont pu méconnaître ce talent, mis au service d’une détestable cause. Où conduit l’abus de la dialectique ? Ariston de Chio l’a dit depuis des siècles, et l’on ne saurait mieux dire que lui : « Ceux qui s’enferment dans cette science, écrivait ce philosophe, peuvent être comparés aux mangeurs d’écrevisses ; pour une bouchée de chair, ils perdent leur temps sur un monceau d’écailles. »

L’écueil principal de l’application des procédés scientifiques aux sciences sociales et morales est si évident, qu’il se signale de lui-même. Déjà une plume exercée[2] l’a indiqué dans ce recueil. En matière de civilisation, de coutumes, de mœurs, de rapports d’homme

  1. M. Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ?
  2. Voyez, livraison du 1er  septembre 1841, l’article de M. de Carné : De quelques publications démocratiques et communistes.