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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

saché, Tomoritsa, Argenik et d’autres places insignifiantes ; les villes principales appartiennent aux musulmans. Une ramification très importante de ces derniers se trouve rejetée vers le nord, et porte plus particulièrement que le reste des Albanais le nom d’Arnaoutes. Ces Albanais bâtards, recrutés par des ouskoks de Bulgarie, couvrent les monts de Pristina jusqu’à Kalkandel, et désolent souvent la Macédoine ; naguère ils remplissaient la milice algérienne, et leurs chefs ont plus d’une fois détrôné les deys. — Tels sont les Toskes, dont le fameux Ali de Janina offre la plus haute personnification historique.

La troisième confédération, celle des Liapes, Lapes ou Japides, contraste avec les autres par sa dégradation extérieure et morale. Laids et rabougris, les Liapes occupent les rochers acrocérauniens, le long de l’Adriatique, entre les districts des Djames et ceux des Toskes. Leur barbarie est telle, qu’Ibrahim-Effendi assure qu’on ne trouve parmi eux pas un ouléma, pas un derviche, pas même un individu sachant lire. On n’a pu encore, jusqu’à ce jour, les empêcher de tromper par des feux nocturnes les pilotes européens pour les attirer au milieu des brisans, s’emparer de la cargaison des navires, et dépouiller les naufragés. Ils sont irrésistiblement portés au vol, qui est leur gagne-pain habituel. Errant dans toute l’Albanie, ils excellent à dérober les moutons pendant la nuit, en assoupissant les chiens de garde au moyen de gâteaux imprégnés d’opium, et en coupant avec les dents la trachée-artère du mouton qu’ils enlèvent, afin qu’il ne puisse bêler. Les Liapes semblent descendre des anciens Chaones, sauvages qui, suivant les poètes grecs, se nourrissaient de glands. Mais il faut observer que le gland doux que mangent encore les habitans de la Liapourie, en le délayant dans du lait, n’est guère inférieur au fruit du châtaignier, avec lequel plusieurs tribus albanaises, aussi bien que les Corses, font leur pain. Les Liapes maritimes vivent aussi de pêche ; ils nagent comme des poissons. Leurs femmes même passent dans l’eau la moitié de leur vie ; une peau noire et huileuse, un sein flasque, un ventre énorme, décèlent chez elles une existence tout animale. La férocité albanaise se trouve comprimée en partie chez ces tribus par leur extrême stupidité, qui fait ressortir d’autant plus le désordre de leurs mœurs. Les Liapes semblent ignorer la sainteté du mariage, et on voit les musulmans épouser des chrétiennes sans chercher à les convertir, car ils ignorent eux-mêmes jusqu’aux prières les plus élémentaires du Koran. Les autres Albanais ont pour les Liapes un tel mépris, que leur nom même est un terme d’injure ;