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DES IDÉES ET DES SECTES COMMUNISTES.

sel ; il est communiste avec Milton, avec Helvétius, avec Mirabeau, avec Payne, avec Condillac et Condorcet. Les contemporains auraient en vain l’espoir de se dérober aux étreintes de cette propagande ; Dinaros les connaît et les dénonce. Tous, ils ont glorifié la communauté. M. Royer-Collard est communiste, M. de Sismondi communiste, M. de Lamartine communiste, M. de Châteaubriand communiste, M. de Tocqueville communiste[1]. On ne saurait redouter de l’être en aussi bonne compagnie ; tel est sans doute le calcul et l’espoir de Dinaros. Cependant nos philosophes, nos prosateurs, nos poètes, doivent être au moins surpris de l’interprétation que l’on donne à leur pensée sur les bords du Taïr, fleuve de l’Icarie. C’est à les rendre fort circonspects pour l’avenir. Pour repousser les honneurs d’une semblable complicité, le témoignage « de la conscience ne suffit pas toujours, et il importe qu’on ne nourrisse pas de pareilles illusions, même dans les pays les plus imaginaires. Du reste, le procédé n’est pas nouveau : l’auteur du Dictionnaire des athées[2] avait ouvert la voie à ce genre d’accusation, lorsqu’au nombre des athées les plus célèbres il portait saint Augustin, saint Thomas, Jésus-Christ et le Saint-Esprit. C’est l’histoire des ictériques, qui ne voient qu’une couleur dans tous les objets, celle de leur mal.

Dans ces sphères de l’imagination, d’autres écrivains d’un ordre plus élevé se sont aussi égarés à la poursuite des chimères communistes. Rien n’est plus affligeant que le spectacle de ces expériences. À tout essayer ainsi, sans mesure et sans trêve, un écrivain finit par perdre le sentiment de toute chose. C’est un bien triste jeu que de pousser des reconnaissances inconsidérées vers les spéculations et les nouveautés bruyantes, sans avoir ni la fore de les approfondir, ni la conscience entière de ce qu’elles peuvent produire. Le premier écart amène des écarts successifs, d’autant plus graves que l’esprit a plus de puissance. Il est d’ailleurs difficile de comprendre comment des plumes de quelque valeur ont pu se mettre au service de doctrines qui se basent sur le niveau absolu des intelligences. Certes, le désintéressement est une vertu méritoire, mais il ne faut pas la pousser jusqu’à l’abdication des plus nobles facultés de l’esprit. Dans aucune charte communiste, il n’y a de place pour les travaux de la pensée. La production brute, les besoins physiques y règnent despotiquement ; les créations délicates, les satisfactions raffinées n’y figurent que dans

  1. Le mot dont se sert l’auteur est communitaire ; mais c’est assez d’un néologisme mis au service de la communauté.
  2. Sylvain Maréchal.