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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

nière, qu’elle confie à ses enfans lorsqu’ils partent en troupes pour des expéditions lointaines. L’équipement de ces bandes, toujours irrégulières, consiste en un coutelas ou handchar à manche orné, s’il se peut, d’argent ou de nacre de perle, en deux ou trois pistolets fort longs, à poignée de cuivre très aiguë, et en un fusil ordinairement damasquiné. Les armes les plus recherchées sont la carabine, appelée djeferdan, et le grand fusil albanais, dit arnaoutka, du poids de douze livres, dont trente anneaux soutiennent le canon, qui porte à trois cents pas de distance. Les Albanais ignorent l’usage des baïonnettes et se servent pour les pistolets des mêmes cartouches que pour les fusils. Les chefs revêtent encore quelquefois le riche toké du moyen-âge, cuirasse bosniaque à mailles d’argent ou de vermeil, avec des espèces d’ailes aux épaules ; mais les plaques métalliques dont ces cuirasses d’apparat se composent sont si minces, qu’elles pareraient à peine un coup de sabre. Pour se préserver des blessures, chaque guerrier a surtout confiance dans des amulettes qu’il ne quitte jamais, et qui souvent se transmettent de père en fils.

Heureux et fiers de vivre dans les camps, ces hommes y puisent une vigueur nouvelle : sur dix mille Albanais allant au combat, on ne trouverait pas trente malades. Mais, si le temps de leur engagement expire tandis qu’ils sont loin de leur pays, on ne retiendrait pas facilement sous le drapeau les orgueilleux Chkipetars. Cet orgueil national leur fait mépriser profondément les Turcs : Osmanlis einai kalos dia to tchorba, — l’Osmanli n’est bon qu’au plat, disent-ils. À plus forte raison dédaignent-ils l’Européen ; ils n’ont foi que dans leur propre race ou dans ceux qui se sont faits les fils adoptifs de leurs tribus.

L’organisation sociale des Albanais ne peut guère se définir d’une manière précise, car elle renferme presque toutes les formes de gouvernement, sans qu’une seule y soit prépondérante. En réalité, le peuple albanais est l’unique association d’hommes vivant actuellement en Europe comme vivaient nos pères au temps de l’anarchie féodale et des courses normandes. L’autorité civile n’étant fondée que sur le droit du sabre, tout chef de guerre devient juge en temps de paix, et revêt, quelque jeune qu’il soit, le caractère religieux d’un vieillard, d’un patriarche antique. Il est suivi à l’église, comme au camp, avec le plus entier dévouement par tous les membres de sa tribu, qu’il est en retour obligé de traiter comme ses propres enfans. Le clan albanais s’appelle phar ou djeta mots dérivés l’un du grec, l’autre du slavon, et qui signifient le foyer ou la famille. Partout où