Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/360

Cette page a été validée par deux contributeurs.
356
REVUE DES DEUX MONDES.

d’œil étonnante. Le prennent-ils vivant, il devient esclave ; tombe-t-il mort, sa tête, coupée et salée, est emportée par les vainqueurs et plantée sur une lance dans leurs villages. Cette coutume est pratiquée même par les boures catholiques.

Les Albanais qui ne s’enrôlent pas militairement ne manquent guère de faire chaque année quelque tournée vagabonde, comme tailleurs, maçons ou faucheurs ; l’hiver, ils reviennent dans leurs foyers avec l’argent amassé. Cette existence errante et toujours en dehors de la société des femmes entraîne les Albanais, plus qu’aucun autre peuple de l’Europe, aux vices honteux que provoque ce genre de vie. Cependant ils ont de la franchise, tiennent la promesse donnée, et savent faire à leur ennemi une guerre ouverte. Les penchans vicieux des Albanais ne résistent pas d’ailleurs à l’influence du mariage, et la sévérité de leurs mœurs conjugales est très grande ; ceux même d’entr’eux qui professent l’islamisme n’ont qu’une seule épouse. La prostitution, dans ce pays, est presque inconnue, et la femme qui serait surprise en faute périrait massacrée avec l’homme qu’elle aurait séduit. Malgré dette rigidité de principes, l’Albanais connaît peu les tourmens de la jalousie ; il laisse sa compagne circuler partout sans voile. Comme chez toutes les races guerrières, les femmes sont ici méprisées et accablées de travaux. Elles arrosent la terre de leurs sueurs, et quelquefois même combattent dans les faïdas avec leurs époux. Ces énergiques créatures mériteraient un meilleur sort ; car à une beauté souvent admirable, et que la vieillesse même ne parvient pas toujours à flétrir, elles joignent toutes les vertus domestiques. Chaque maison, dans cet étrange pays, est comme un petit fort garni de meurtrières qui lui servent en même temps de fenêtres. Bâties en argile, ces demeures sont toujours isolées, et, autant que possible, élevées sur un monticule où l’on n’arrive que par un escalier qui, le plus souvent, aboutit à une échelle, seul moyen de s’introduire dans ces nids de vautours. Les appartemens sont à peu près sans meubles et quelquefois sans portes ; la fumée n’a pour s’échapper d’autre issue qu’un trou dans le plafond. Les fenêtres ne sont jamais garnies de vitres ; seulement, l’hiver, on les clôt avec du papier. Les sérails des principaux beys sont seuls un peu plus ornés ; peints à l’extérieur de couleurs éclatantes, ils offrent à l’intérieur une profusion d’arabesques, de marines, de dessins d’architecture orientale, de scènes de chasse et de paysages souvent assez gracieux, exécutés par des rayas grecs.

La magnificence du costume albanais est pour ainsi dire prover-