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qu’au temps des Pélages, et les races grecques et slaves ont sans doute trouvé dans l’Albanie leur berceau commun. En effet, le peuple des Blancs s’étendait autrefois sur la plus grande partie de la presqu’île gréco-slave, où son séjour est attesté par les noms albanais de plusieurs villes et bourgades qu’habitent aujourd’hui les Serbes ou les Hellènes. On trouve même encore sur plusieurs points de la Bulgarie, de la Macédoine et de la Bosnie, d’anciens villages où les Albanais sont mêlés aux Tsintsars (Slaves hellénisés). Bien que répandue sur un si vaste territoire, la race albanaise diminue visiblement, et on ne pourrait guère aujourd’hui compter plus d’un million et demi de véritables Albanais sur cette terre qui, il y a quarante-ans, sous Ali de Janina, en nourrissait encore deux millions.

Plus voisine de l’Europe civilisée que la plupart des autres contrées de l’Orient, puisqu’elle n’est séparée de l’Italie que par un canal étroit, l’Albanie devrait recevoir de l’Occident une influence bienfaisante, et cependant c’est la partie de l’empire turc qui renferme le plus d’élémens de barbarie. D’où vient ce phénomène ? Quelques-uns en croiront voir la raison dans cet attachement au système de tribus et de clans, qui s’est montré plus opiniâtre en Albanie que dans les autres provinces ottomanes. On aurait tort d’attribuer à cette cause la barbarie des Albanais : cette barbarie a pour principe, non pas simplement la vie de tribu, mais la vie de tribu guerrière, l’esprit inquiet des ortas ou des hordes. L’obstination de ce peuple à garder, même au sein de la paix, les mœurs militaires, a entravé chez lui tout développement social. Ne pouvant porter la guerre au dehors, il a, comme l’Arabe des déserts, réagi contre lui-même : il s’est décimé de plus en plus par de petits combats entre familles qui ont ouvert dans ses rangs de larges brèches où s’infiltrent les populations voisines ; et, en se multipliant, ces invasions inaperçues ont par degrés soumis l’Albanie à deux influences étrangères, l’une slave, l’autre hellénique, qui se disputent maintenant cette terre d’anarchie.

La race albanaise se désigne elle-même par deux noms généraux : le nom de Mirdites, dérivé du persan mardaïtes (brave), s’applique aujourd’hui à la partie la plus noble de la population, et semble, comme les mots germain, slave, franc, avoir été dans l’origine un titre d’honneur ; le nom de Chkipetars (habitans des rochers) désigne le peuple en général.

Hippocrate a parfaitement caractérisé les Albanais lorsqu’il a dit : « Tous ceux qui habitent un pays montueux, inégal, pourvu