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PORTRAITS HISTORIQUES.

règles ordinaires, et les formules qu’on y employait, monnaie de convention à l’usage de ce seul commerce, pouvaient être prodiguées, comme l’encens aux dieux, comme les sermens aux femmes, à même fin et sans plus de vergogne. Aussi fallait-il voir comme, de la plus humble position aux pieds de cette majesté, il se relevait fièrement pour narguer ou traiter de pair tout ce qui n’était pas elle. Il pouvait donc y avoir de la faiblesse, de la puérilité, dans ses supplications obstinées, ou plutôt dans les persécutions de sa flatterie ; mais c’est abuser du langage que d’y trouver de la bassesse, et les occasions d’appliquer ce mot où il convient ne sont pas, Dieu merci, assez rares pour qu’il soit permis d’en oublier le sens. Bayle, sur ce fait-là, est bien meilleur philosophe que d’Alembert, qui épuise contre le comte de Bussy tout le vocabulaire de l’injure. « Ceux qui le censurent, dit le premier, ont-ils goûté de la vie de cour ? Savent-ils les habitudes et les maladies qu’on y contracte ? S’ils le savaient, ils seraient peut-être plus indulgens à son égard. » On peut toutefois faire bon marché, sous le rapport du mérite littéraire, des nombreuses lettres qu’il adressa au roi ; mais celles qu’il écrivait à sa cousine et à ses amis justifient fort bien l’estime qu’elles ont eue dans un temps et dans un monde où l’on ne manquait, ce nous semble, ni de bon sens, ni de bon goût, ni de bon style. Dans le siècle suivant, une femme célèbre, la marquise du Deffand, les a fort heureusement appréciées, alors qu’elles étaient tombées en discrédit, et lorsque la distance des faits leur ôtait déjà leur principal intérêt. Elle en admirait surtout ce qu’elle appelait « le délibéré, » et elle faisait honneur à Horace Walpole de la ressemblance qu’elle trouvait entre sa manière d’écrire et celle du comte. « Il avait beaucoup d’esprit, disait-elle, très cultivé, le goût très juste, beaucoup de discernement sur les hommes et sur les ouvrages, raisonnait très conséquemment ; le style excellent, sans recherche, sans tortillage, sans prétention ; jamais de phrases, jamais de longueurs, rendant toutes ses pensées avec une vérité infinie ; tous ses portraits sont très ressemblans et bien frappés. » C’est à peu près là ce que nous pourrions en dire nous-même, avec moins de grace. Sans doute, par-dessus tout cela, domine la vanité ; « mais je la lui pardonne, dit encore Mme du Deffand, en faveur de cette vérité que j’aime tant et à qui la modestie donne quelques petites entorses. » Parfois d’ailleurs, au milieu des recherches bizarres de son amour-propre pour inventer quelque moyen nouveau de se plaindre et de se glorifier, sa raison a de nobles instincts qui lui révèlent la véritable grandeur. « Je me con-