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DES ÉTUDES ÉGYPTIENNES EN FRANCE.

sur la formation du Delta et sur les révolutions du bassin de la Méditerranée, sur la diversité des races et des langues, sur l’histoire du calendrier égyptien, sur les découvertes de Champollion, qu’il a défendues avec la chaleur de la conviction contre des détracteurs qui ne prennent pas même la peine de comprendre ce qu’ils attaquent.

Mais ce n’est pas seulement le plaisir d’une instruction variée et piquante que donne l’enseignement de M. Letronne : c’est plus encore peut-être, celui que l’on éprouve à penser juste. Ce cours est un modèle de méthode. À chaque recherche nouvelle, M. Letronne indique les sources, les apprécie, livre tous les élémens de la discussion, n’impose jamais ses vues, ne les annonce même pas d’avance. Il ne donne son opinion qu’après avoir fait parcourir à ses auditeurs le chemin qui l’y a conduit. On découvre peu à peu la vérité avec lui : c’est à croire qu’on la trouve ensemble. M. Letronne ne nous fait pas connaître ses idées seulement, il nous initie à ses procédés. Rien n’est plus rare qu’une bonne méthode ; mais, une fois que l’esprit en a l’habitude, il ne la perd plus : il ne trouve qu’avec elle la sécurité et le contentement de la pensée. M. Letronne rend ce service à tous ceux qui ne s’y refusent pas.

Tant de mérites suffisent bien pour expliquer le succès de son enseignement. Les études égyptiennes sont, d’ailleurs, devenues en France une tradition pour ainsi dire nationale. C’est notre pays, en effet, qui a rendu les plus grands services dans cette branche des études orientales. Nos savans se sont aussi distingués dans toutes les autres. Je n’ai qu’à nommer Abel Rémusat et M. Stanislas Julien pour la Chine, Sylvestre de Sacy et M. Quatremère pour l’Asie occidentale, M. Burnouf pour l’Inde et pour la Perse surtout, dont il rehausse la langue primitive par un admirable travail. Cependant les Anglais ont des ressources qu’eux seuls possèdent pour connaître la presqu’île du Gange. Les Russes, par leurs relations avec l’Asie centrale, sont les plus avantageusement placés pour étudier les hordes mongoles et toutes les populations du plateau. L’Allemagne, qui, depuis la réforme, est le champ clos de la théologie, a le mieux exploré l’antiquité sacrée. Aussi les savans étrangers, les orientalistes de Calcutta, d’Oxford, de Berlin, de Bonn, de Saint-Pétersbourg, peuvent nous disputer, et souvent avec avantage, la possession scientifique de l’Asie. L’ancienne Égypte, au contraire, nous appartient à bon droit. Notre pays se l’est acquise par les travaux les plus importans. Il ne sera peut-être pas sans quelque intérêt de les connaître, de savoir ce qu’ils nous ont appris sur l’Égypte.