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d’albâtre du bassin de la salle des deux Sœurs, de manière à former corbeille, et, renversant en arrière leurs jolies têtes, elles reprenaient toutes ensemble le refrain de la chanson.

Le Generalife est situé à peu de distance de l’Alhambra, sur un mamelon de la même montagne. L’on y va par une espèce de chemin creux qui croise le ravin de los Molinos, et qui est tout bordé de figuiers aux énormes feuilles luisantes, de chênes verts, de pistachiers, de lauriers, de cistes d’une incroyable puissance de végétation. Le sol sur lequel on marche se compose d’un sable jaune tout pénétré d’eau, et d’une fécondité extraordinaire. Rien n’est plus ravissant à suivre que ce chemin, qui a l’air d’être tracé à travers une forêt vierge d’Amérique, tant il est obstrué de feuillages et de fleurs, tant on y respire un vertigineux parfum de plantes aromatiques. La vigne jaillit par les fentes des murs lézardés et suspend à toutes les branches ses vrilles fantasques et ses pampres découpés comme un ornement arabe ; l’aloès ouvre son éventail de lames azurées, l’oranger contourne son bois noueux et s’accroche de ses doigts de racines aux déchirures des escarpemens. Tout fleurit, tout s’épanouit dans un désordre touffu et plein de charmans hasards. Une branche de jasmin qui s’égare mêle une étoile blanche aux fleurs écarlates du grenadier ; un laurier, d’un bord du chemin à l’autre, va embrasser un cactus, malgré ses épines. La nature, abandonnée à elle-même, semble se piquer de coquetterie, et vouloir montrer combien l’art, même le plus exquis et le plus savant, reste toujours loin d’elle.

Au bout d’un quart d’heure de marche, on arrive au Generalife, qui n’est en quelque sorte que la casa de campo, le pavillon champêtre de l’Alhambra. L’extérieur, comme celui de toutes les constructions moresques, en est fort simple : de grandes murailles sans fenêtres et surmontées d’une terrasse avec une galerie en arcades, le tout coiffé d’un petit belvédère moderne. Il ne reste du Generalife que des arcs moresques et de grands panneaux d’arabesques malheureusement empâtées par des couches de lait de chaux renouvelées avec une obstination de propreté désespérante. Petit à petit, les délicates sculptures, les guillochis merveilleux de cette architecture de fée s’oblitèrent, se bouchent et disparaissent. Ce qui n’est plus aujourd’hui qu’une muraille vaguement vermiculée était autrefois une dentelle découpée à jour aussi fine que ces feuilles d’ivoire que la patience des Chinois cisèle pour les éventails. La brosse du badigeonneur a fait disparaître plus de chefs-d’œuvre que la faux du temps, s’il nous est permis de nous servir de cette expression mytho-