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ternes ne seront-ils pas tentés de s’appliquer quelques raffinemens clandestins ? Il est vrai que les communistes font profession de se défier des magistrats ; leur société sera donc, comme la nôtre, fondée sur le soupçon mutuel et sur un système de défensive. Seulement, le contrôle s’exercerait alors sur une plus grande échelle, et la vie privée des fonctionnaires publics se trouverait constamment placée sous la menace d’une dénonciation. À ce prix, le service de l’état commence à devenir rude ; les plus ambitieux reculeraient peut-être devant une telle responsabilité.

De la secte des égaux on arrive, sans intermédiaire, aux communistes de notre temps. De ce côté du détroit, la trace de ces idées s’efface sous l’empire et sous la restauration, régimes peu favorables aux systèmes ; mais, en Angleterre, Robert Owen proclame alors sa communauté coopérative et son gouvernement rationnel. Jamais négation plus effrayante ne fut énoncée avec plus de sang-froid. Point de religion, point de mariage, point de famille, point de propriété. M. Owen conçoit une société sans liens, sans croyances, sans devoirs et sans droits. L’existence terrestre est la seule chose qui le touche il n’imagine rien au-delà. En envisageant de près notre destinée, il avise en outre que l’homme n’est pas le maître de la dominer à son gré, qu’il est au contraire le jouet de circonstances irrésistibles. Ni l’éducation, ni le caractère, ni l’intelligence, ni la force physique, ne sont des facultés entièrement dépendantes de la volonté humaine. Tout être subit la loi de la nature ou des évènemens. Si cela est ainsi, n’y a-t-il pas une injustice flagrante à le rendre responsable d’actes qui ne sont pas libres ? M. Owen le croit et réveille la longue et ancienne querelle des nécessariens et des pélagiens. La fatalité seule détermine ici-bas le bien et le mal. Il ne saurait donc y avoir ni mérite, ni démérite ; on a tort de récompenser et tort aussi de punir. Quand on arrive à de telles conclusions dans l’ordre moral, on est rigoureusement conduit à la communauté dans l’ordre des intérêts. M. Owen la conçoit sans limites et sans règles. Chacun prend où il veut, fait ce qu’il veut ; la société marche à l’aventure. Les modes d’organisation sont purement facultatifs. M. Owen n’admet rien d’obligatoire. La bienveillance universelle doit tout remplacer, lois, mœurs, armée, prisons, gouvernement. Cela s’appelle, dans la langue de l’inventeur, le régime rationnel, ce qui ne veut pas dire le régime raisonnable[1].

  1. Pour de plus amples détails sur la doctrine de Robert Owen, on peut consulter un article inséré dans la Revue, livraison du 1er avril 1838.