C’est dans le bassin de la fontaine des lions que tombèrent les têtes de trente-six Abencerrages, attirés dans un piége par les Zégris. Les autres Abencerrages auraient tous éprouvé le même sort sans le dévouement d’un petit page qui courut prévenir, au risque de sa vie, les survivans et les empêcher d’entrer dans la fatale cour. On vous fait remarquer au fond du bassin de larges taches rougeâtres, accusations indélébiles laissées par les victimes contre la cruauté de leurs bourreaux. Malheureusement les érudits prétendent que les Abencerrages et les Zégris n’ont jamais existé. Je m’en rapporte complètement là-dessus aux romances, aux traditions populaires et à la nouvelle de M. de Châteaubriand, et je crois fermement que les empreintes empourprées sont du sang et non de la rouille.
Nous avions établi notre quartier-général dans la cour des Lions ; notre ameublement consistait en deux matelas qu’on roulait le jour dans quelque coin, en une lampe de cuivre, quelques bouteilles de vin de Jérés que nous mettions rafraîchir dans la fontaine, et une jarre de terre. Nous couchions tantôt dans la salle des deux Sœurs, tantôt dans celle des Abencerrages, et ce n’était pas sans quelque légère appréhension qu’étendu sur mon manteau, je regardais tomber, par les ouvertures de la voûte, dans l’eau du bassin et sur le pavé luisant, les rayons blancs de la lune, tout étonnés de se croiser avec la flamme jaune et tremblottante d’une lampe.
Les traditions populaires réunies par Washington Irving dans ses Contes de l’Alhambra me revenaient en mémoire ; les histoires