Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/277

Cette page a été validée par deux contributeurs.
273
SOUVENIRS DE GRENADE.

tique du tribunal, autant sous le portique de l’entrée, un autre dans la salle des Abencerrages, sans compter la Taza de los Leones, qui, non contente de verser l’eau par les gueules de ses douze monstres, lance encore vers le ciel un torrent par le champignon qui la surmonte. Toutes ces eaux viennent se rendre, par des rigoles creusées dans le dallage des salles et le pavé de la cour, au pied de la fontaine des Lions, où elles s’engloutissent dans un conduit souterrain. — Voilà à coup sûr un genre d’habitation où l’on ne sera pas incommodé par la poussière, et l’on se demande comment ces salles pouvaient êtres habitables l’hiver. Sans doute l’on fermait alors les grandes portes de cèdre, on recouvrait le pavé de marbre d’épais tapis, on allumait dans les braseros des feux de noyaux et de bois odoriférant, et l’on attendait ainsi le retour de la belle saison, qui ne se fait jamais beaucoup attendre à Grenade.

Nous ne décrivons pas la salle des Abencerrages, qui est presque semblable à celle des deux Sœurs, et n’a rien de particulier que son ancienne porte de bois assemblé en losanges, qui date du temps des Mores. À l’Alcazar de Séville, on en remarque une autre tout-à-fait du même style.

La Taza de los Leones jouit, dans les poésies arabes, d’une réputation merveilleuse ; il n’est pas d’éloges dont on ne comble ces superbes animaux : je dois avouer qu’il est difficile de trouver quelque chose qui ressemble moins à des lions que ces produits de la fantaisie moresque ; les pattes sont de simples piquets pareils à ces morceaux de bois à peine dégrossis qu’on enfonce dans le ventre des chiens de carton pour les faire tenir en équilibre ; les muffles, rayés de barres transversales sans doute pour figurer les moustaches, ressemblent parfaitement à des museaux d’hippopotame. Les yeux sont d’un dessin par trop primitif qui rappelle les informes essais des enfans. Cependant ces douze monstres, en les acceptant non pas comme lions, mais comme chimères, comme caprice d’ornement, font, avec la vasque qu’ils supportent, un effet pittoresque et plein d’élégance, qui aide à comprendre leur réputation et les éloges contenus dans cette inscription arabe de vingt-quatre vers de vingt-deux syllabes gravés sur les parois de la coupe où retombent les eaux de la coupe supérieure. Nous demandons pardon à nos lecteurs pour la fidélité un peu barbare de la traduction :

« Ô toi qui regardes les lions fixés à leur place ! remarque qu’il ne leur manque que la vie pour être parfaits. — Et toi à qui écheoit en héritage cet