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En entrant, vous avez en face de vous, formant le fond du parallélograme, la salle du Tribunal, dont la voûte renferme un monument d’art d’une rareté et d’un prix inestimables. Ce sont des peintures arabes, les seules peut-être qui soient parvenues jusqu’à nous. L’une d’elles représente la cour des Lions même avec la fontaine très reconnaissable, mais dorée ; quelques personnages, que la vétusté de la peinture ne permet pas de distinguer nettement, semblent occupés d’une joute ou d’une passe d’armes. L’autre a pour sujet une espèce de divan où se trouvent rassemblés les rois mores de Grenade, dont on discerne encore fort bien les burnous blancs, les têtes olivâtres, la bouche rouge et les mystérieuses prunelles noires. Ces peintures, à ce que l’on prétend, sont sur cuir préparé, collé à des panneaux de cèdre, et servent à prouver que le précepte du Koran qui défend la représentation des êtres animés n’était pas toujours scrupuleusement observé par les Mores, quand bien même les douze lions de la fontaine ne seraient pas là pour confirmer cette assertion.

À gauche, au milieu de la galerie, dans le sens de la longueur, se trouve la salle des deux Sœurs, qui fait pendant à la salle des Abencerrages. Ce nom de las dos Hermanas lui vient de deux immenses dalles de marbre blanc de Machaël, de grandeur égale et parfaitement semblables, que l’on remarque à son pavé. La voûte ou coupole, que les Espagnols appellent fort expressivement media-naranja (demi-orange), est un miracle de travail et de patience. C’est quelque chose comme les gâteaux d’une ruche, comme les stalactites d’une grotte, comme les grappes de globules savonneux que les enfans soufflent au moyen d’une paille. Ces myriades de petites voûtes, de dômes de trois ou quatre pieds qui naissent les uns des autres, entrecroisant et brisant à chaque instant leurs arêtes, semblent plutôt le produit d’une cristallisation fortuite que l’œuvre d’une main humaine : le bleu, le rouge et le vert brillent encore dans le creux des moulures d’un éclat presque aussi vif que s’ils venaient d’être posés. — Les murailles, comme celles de la salle des Ambassadeurs, sont couvertes, depuis la frise jusqu’à hauteur d’homme, de broderies de stuc d’une délicatesse et d’une complication incroyables. Le bas est revêtu de ces carreaux de terre vernie où des angles noirs, verts et jaunes, forment mosaïque avec le fond blanc. Le milieu de la pièce, selon l’invariable usage des Arabes, dont les habitations ne semblent être que de grandes fontaines enjolivées, est occupé par un bassin et un jet d’eau, il y en a quatre sous le por-