Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/270

Cette page a été validée par deux contributeurs.
266
REVUE DES DEUX MONDES.

cles par l’Orient, cette terre du soleil d’où vient toute sagesse et toute lumière.

Le nom de tour serait plus justement appliqué que celui de porte à la construction du roi more Yusef-Abul-Hagiag, car c’est réellement une grosse tour carrée, assez haute, et percée d’un grand arc évidé en forme de cœur, à qui les hiéroglyphes de la clé et de la main gravés en creux sur deux pierres séparées donnent un air rébarbatif et cabalistique. La clé est un symbole en grande vénération chez les Arabes, à cause d’un verset du Coran qui commence par ces mots : Il a ouvert, et de plusieurs autres significations hermétiques ; la main est destinée à conjurer le mauvais œil, la jettatura, comme les petites mains de corail que l’on porte à Naples en épingle ou en breloque pour se garantir des regards obliques. Il y avait une ancienne prédiction qui disait que Grenade ne serait prise que lorsque la main aurait saisi la clé ; il faut avouer, à la honte du prophète, que les deux hiéroglyphes sont toujours à la même place, et que Boabdil, el re chico, comme on l’appelait à cause de sa petite taille, a poussé hors de Grenade conquise ce gémissement historique, suspiro del Moro, qui a baptisé un rocher de la Sierra d’Elvire.

Cette tour crénelée, massive, glacée d’orange et de rouge sur un fond de ciel cru, ayant par derrière elle un abîme de végétation, la ville en précipice, et plus loin de longues bandes de montagnes veinées de mille nuances comme des porphyres africains, forme au palais arabe une entrée vraiment majestueuse et splendide. Sous la porte est installé un corps-de-garde, et de pauvres soldats déguenillés font la sieste au même endroit où les califes, assis sur des divans de brocard d’or, leurs yeux noirs immobiles dans leur face de marbre, les doigts noyés dans les flots de leur barbe soyeuse, écoutaient d’un air rêveur et solennel les réclamations des croyans. Un autel surmonté d’une image de Vierge est appliqué à la muraille, comme pour sanctifier dès le premier pas cet ancien séjour des adorateurs de Mahomet.

La porte franchie, l’on débouche sur une vaste place nommée de las Algives, au milieu de laquelle se trouve un puits dont la margelle est entourée d’un espèce de hangar de charpente recouvert de sparterie sous lequel l’on va boire, pour un quarto, de grands verres d’une eau claire comme le diamant, froide comme la glace, et d’un goût exquis. Les tours Quebrada, de l’Homenage, de l’Armeria, celle de la Vela, dont la cloche annonce les heures de la distribution des eaux, des parapets de pierre où l’on peut s’accouder pour admirer le