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compris sur-le-champ : ils avaient prévu des résistances et s’étaient réservé les moyens d’agir sur les volontés rebelles. La force entrait en première ligne dans leurs projets : ils devaient engager le combat avec la vieille civilisation, et ne déposer les armes qu’après l’avoir vaincue. Peu de mesures, mais des mesures héroïques, complétaient leur plan de campagne. On y lisait : « Art. 1er. À la fin de l’insurrection, les citoyens pauvres qui sont actuellement mal logés ne rentreront pas dans leurs demeures ordinaires ; ils seront immédiatement logés dans les maisons des conspirateurs. Art. 2. L’on prendra chez les riches ci-dessus de quoi meubler avec aisance les sans-culottes. » Dans une autre pièce, destinée à devenir publique, les résultats de l’établissement du système vainqueur sont présentés sous le jour le plus séduisant. « Art. 2. Distribution des biens. — La communauté nationale assure, dès ce moment, à chacun de ses membres un logement sain, commode et proprement meublé ; des habillemens de travail et de repos, de fil ou de laine, conformes au costume national ; le blanchissage, le chauffage, l’éclairage ; une quantité suffisante d’alimens en pain, viande, volaille, poisson, œufs, beurre et huile, vins et autres boissons usitées dans différentes régions, légumes, fruits, assaisonnemens et autres objets dont la réunion constitue une médiocre et frugale aisance. » Cette énumération peut donner une idée du gouvernement des égaux et de la sollicitude avec laquelle il comptait pourvoir aux besoins de la communauté. Plus loin, il a également le soin d’indiquer dans quelle mesure il accordera sa confiance aux fonctionnaires publics. « Les agens de l’administration suprême, dit un article, seront souvent changés : les prévaricateurs seront sévèrement punis. » Ainsi l’on sait flatter les passions les plus vives et sacrifier aux répugnances les plus profondes du cœur humain ; on caresse le désir du bien-être personnel, on offre des garanties contre l’exploitation administrative. Ce double calcul est adroit ; il témoigne que les égaux, en se livrant à l’imaginaire, n’avaient pas entièrement perdu le sentiment du réel.

Il n’y a pas à discuter particulièrement leur utopie ; elle ressemble à celles qui ont précédé et se réfléchit dans celles qui vont suivre. On y voit dominer cette abstraction infaillible et toute-puissante qui, sous le nom de gouvernement, joue le rôle d’un dieu descendu sur la terre. C’est là une tendance qui ne saurait être trop remarquée. La dernière conséquence de l’esprit révolutionnaire semblerait être le despotisme. Naguère on se défiait du pouvoir, on le tenait pour suspect ; le combattre et le limiter était la tâche des hommes qui s’en