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SOUVENIRS DE GRENADE.

nous disons là s’applique surtout à la Carrera del Darro, au Zacatin, à la Place-Neuve, à la rue de los Gomeres, qui mène à l’Alhambra, à la place du Théâtre, aux abords de la promenade et aux rues artérielles. Le reste de la ville est sillonné en tous sens d’inextricables ruelles de trois à quatre pieds de large qui ne peuvent admettre de voitures, et rappellent tout-à-fait les rues moresques d’Alger. Le seul bruit qu’on y entende, c’est le sabot d’un âne ou d’un mulet qui arrache une étincelle aux cailloux luisans du pavé, ou le fron-fron monotone d’une guitare qui bourdonne au fond d’une cour intérieure.

Les balcons ombragés de stores, de pots de fleurs et d’arbustes, les brindilles de vigne qui se hasardent d’une fenêtre à l’autre, les lauriers-roses qui lancent leurs bouquets étincelans par-dessus les murs des jardins, les jeux bizarres du soleil et de l’ombre, qui rappellent les tableaux de Decamps représentant des villages turcs, les femmes assises sur le seuil des portes, les enfans à demi nus qui jouent et se culbutent, les ânes qui vont et viennent chargés de plumets et de houppes de laine, donnent à ces ruelles, presque toujours montantes et quelquefois coupées de marches, une physionomie particulière qui n’est pas sans charme et dont l’imprévu compense et au-delà ce qui leur manque comme régularité.

Victor Hugo, dans sa charmante orientale, dit de Grenade :

Grenade peint ses murs de plus vives couleurs.

Ce détail est d’une grande justesse. Les maisons un peu riches sont peintes extérieurement, de la façon la plus bizarre, d’architectures simulées, d’ornemens en grisaille et de faux bas-reliefs. Ce sont des panneaux, des cartouches, des trumeaux, des pots à feu, des volutes, des médaillons fleuris de roses pompons, des oves, des chicorées, des amours ventrus soutenant toutes sortes d’ustensiles allégoriques sur des fonds vert-pomme, cuisse de nymphe, ventre de biche : le genre rococo poussé à sa dernière expression. — L’on a d’abord de la peine à prendre ces enluminures pour des habitations sérieuses. Il vous semble que vous marchez toujours entre des coulisses de théâtre. — Nous avions déjà vu à Tolède des façades de ce genre, mais elles sont bien loin de celles de Grenade pour la folie des ornemens et l’étrangeté des couleurs. Quant à moi, je ne hais pas cette mode, qui égaie les yeux et fait un heureux contraste avec la teinte crayeuse des murailles passées au lait de chaux.

Nous avons parlé tout à l’heure des bourgeois costumés à la fran-