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PHILOSOPHIE DU DRAME GREC.

a déjà reçus dans son sein ! Ils tirent beaucoup de sang à leurs meurtriers, ces morts depuis si long-temps disparus ! » Ainsi c’est Agamemnon lui-même qui se venge par ses enfans ; c’est le châtiment qui veille encore sur les crimes que le tombeau semblait avoir engloutis, et qui sait attendre long-temps, parce qu’il n’oublie jamais : la vieille hache du meurtre n’avait pas perdu la mémoire !

Les trois pièces dont il nous reste à parler forment ensemble une trilogie selon le système de l’ancienne tragédie. Peu importe qu’elles aient été composées à différentes époques ; elles n’en reposent pas moins sur une seule base, l’histoire de la famille d’Œdipe, et les trois termes y ont leur signification théologique très clairement déterminée.

La première, Œdipe-Roi, s’explique d’elle-même par les vers qui la terminent. « Voyez, s’écrie le chœur, voyez cet Œdipe qui savait interpréter les fameuses énigmes, qui était puissant parmi les hommes, qui ne s’inquiétait ni des jalousies ni des richesses de ses concitoyens ; par quel flot d’horrible infortune il se voit emporté ! Ainsi donc, vous qui êtes mortels, attendez votre dernier jour, et ne vous croyez jamais heureux, jusqu’à ce que vous ayez atteint le terme de votre vie sans rencontrer la douleur. » Le mythe d’Œdipe montre donc l’homme tombé pour s’être élevé trop haut par la science, et il a des rapports marqués avec celui de Prométhée. Tous deux avaient voulu révéler aux hommes les mystères dont la théocratie orientale entendait rester la seule interprète ; tous deux représentent une révolte de la population indigène contre la caste d’origine étrangère ; tous deux furent proposés comme exemples du châtiment réservé à la curiosité indiscrète et rationaliste, qui n’en triompha pas moins plus tard. Cela est exprimé, d’une manière remarquable dans un autre chœur d’Œdipe-Roi : « Si quelqu’un, dans l’audace de son orgueil, transgresse la loi par ses actions ou par ses paroles, et profane les sanctuaires des dieux, qu’il périsse, et que ce soit là le fruit de ce misérable plaisir ! Qu’il périsse, s’il ne borne pas son ambition par la justice, s’il ne s’abstient pas des profanations, si, dans sa folie, il ose mettre la main aux choses qu’il est défendu de toucher !… Ô Jupiter ! roi du monde, regarde, et que ton immortelle puissance ne ferme pas les yeux ; car déjà les oracles semblent périr, la gloire d’Apollon s’obscurcit, la religion s’en va ! »

La seconde pièce de la trilogie thébaine repose, comme dans toutes les autres trilogies, sur le dogme de l’expiation. Dans la chute d’Œdipe, la curiosité et l’ambition n’étaient pas seules en cause ; la