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l’effroyable punition de ce crime par un autre crime, Clytemnestre assassinée par son fils Oreste. Le troisième enfin, c’est la réhabilitation d’Oreste par l’intercession d’une vierge divine, la chaste Pallas.

Lors donc qu’on accusait Eschyle d’avoir divulgué le secret des mystères, on n’avait pas tort ; il n’était pas même nécessaire pour cela de recourir à quelques traits peut-être trop directs et trop matériels de l’une de ses pièces ; il aurait suffi d’examiner le sens moral de toutes les trilogies que nous venons d’énumérer. Mais la loi du secret ne portait sans doute que sur certaines circonstances cérémonielles ; il n’était guère possible en effet de cacher l’esprit de ces cérémonies puisque cet esprit devait influer si puissamment sur la conduite de chaque initié. Ce que nous avons dit explique aussi cette autre tradition, d’après laquelle Eschyle aurait composé ses tragédies sur un ordre de Bacchus lui-même, reçu en songe ; ce qui veut dire que le dogme intime des mystères dionysiaques fut la véritable inspiration de ces œuvres. La mise en scène était en parfaite harmonie avec ces idées ; des machines propres aux apparitions surnaturelles, des autels, des tombeaux, des spectres, des personnages de l’enfer, frappaient les spectateurs d’une terreur religieuse ; les costumes majestueux inventés par le poète furent même, s’il faut en croire Athénée, imités dans la suite par les hiérophantes et par leurs acolytes. Tout ceci confirme l’identité morale du drame tragique d’Eschyle avec le dogme fondamental des mystères de la Grèce.

Mais c’est dans Sophocle qu’il nous faut chercher la plus haute expression du drame grec : Eschyle, pénétrant dans les arcanes du sanctuaire, y avait saisi la pensée religieuse, et l’avait traînée au grand jour de la vie profane, où la liberté philosophique et artistique s’en emparait. C’était, aussi bien que dans Sophocle, l’esprit d’Homère, esprit novateur, rival du sacerdoce, auquel il retirait l’autorité d’interprétation pour la livrer à tout le monde. Cependant l’œuvre d’Eschyle ne fut qu’un sublime essai ; ses pièces, extrêmement simples, ne sont en réalité que des épisodes, comme on les appelait, intercalés dans les chœurs ; en outre, le merveilleux occupe encore une grande place ; des scènes aussi fantastiques que celles du Prométhée et des Euménides annoncent que le mythe exerce encore une grande influence. Sophocle apparaît, et, comme Neptune, en trois pas il franchit une immensité. Chez lui, le merveilleux, le gigantesque, ne se montrent presque plus sur la scène ; quand des personnages divins s’y présentent accessoirement, comme dans Ajax et dans Philoctète, ils sont rapprochés de l’humanité ; les dieux