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PHILOSOPHIE DU DRAME GREC.

Or, dès qu’on a reconnu aux mystères, une signification morale quelconque, il devient aisé d’en déterminer logiquement le sens précis. Pour cela, il suffit d’éviter les vagues hypothèses, et d’appliquer tout simplement à la vie humaine la trilogie mystique, composée, avons-nous dit, de ces trois termes : conception idéale du bonheur, sentiment de la souffrance, espoir de réparation. Ce sont là trois faits de notre existence tellement vulgaires, tellement journaliers, tellement palpables, qu’il n’est nul besoin d’analyse psychologique pour les constater dans la vie de l’homme, et c’est pour cela que le genre humain, dès les plus anciennes époques, les a pris, et avec raison, pour les vrais et essentiels problèmes de la vie, pour le sommaire de toute science, pour les bases de toute religion. La foi au bonheur, à un bonheur plus élevé que la satisfaction bestiale des besoins matériels, repose dans l’intimité de notre être ; elle est la source de notre activité, de notre curiosité, de notre insatiable ambition de progrès ; elle se corrobore dans chaque individu des joies chaleureuses et imprévoyantes de l’adolescence et de la jeunesse, qui croit à peine à la mort, tant le bien idéal la possède. Plus tard, l’expérience de la vie vient nous initier à un autre ordre de choses ; l’obstacle, la peine, le combat, se font connaître ; sans cesse il faut sacrifier une partie de soi au mouvement général. Ce sacrifice est la condition impérieuse de la société ; les théoriciens de l’égoïsme n’ont pas eux-mêmes pu y échapper, car ils disent que chaque individu doit sacrifier une partie de sa liberté pour conserver le reste. Cette privation, cette souffrance, cette immolation sociale était représentée dans le culte par le sacrifice, et les stoïciens en développèrent l’idée philosophique avec une vigueur admirable, quoique exagérée. Cependant, à travers ce sacrifice douloureux, la foi au bonheur nous poursuit encore ; sans elle, la vie serait intolérable au plus grand nombre ; avec elle, l’humanité se fortifie par l’épreuve même, comme si la douleur n’était qu’une dette qu’elle paie, et dont chaque instant avance sa libération. La mort même n’y change rien ; au contraire, c’est en elle qu’on voit la réalisation de l’espérance : de là une croyance générale à l’immortalité, et ce respect pour les sépultures, phénomène de tous les temps et de tous les lieux.

Or, cette triple idée, base morale de la religion grecque et de toutes les religions, nous apparaît aussi comme l’idée génératrice de la tragédie grecque, à tel point qu’elle en était l’essence, au moins dans les premiers temps, à l’époque d’Eschyle. Alors un drame complet se composait de trois parties et formait une trilogie, car il ne faut pas